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Dossier | Qui est Gennady Timchenko, ce personnage-clé du hockey russe?

C’est l’été, la plupart des contrats sont signés et les nouvelles se font rares sur la planète hockey. En cette période plus calme du mois d’août, nous vous invitons donc à prendre un peu de recul, pour s’intéresser à un personnage-clé du hockey russe et européen: Gennady Timchenko.

Du haut de ses 64 ans, le président du tout-puissant SKA Saint-Pétersbourg est une figure dominante en Russie. Proche de Vladimir Poutine, cet oligarque qui a fait fortune dans le secteur des hydrocarbures est l’une des premières fortunes du pays. En KHL, il dirige le bureau des gouverneurs, en plus d’avoir une influence étendue sur d’autres équipes du circuit. Sur le plan financier, l’homme d’affaires pèse également lourd. Très très lourd…

Une fortune à l’ombre du pouvoir

Pour bien appréhender l’étendue de l’empire Timchenko dans le monde du hockey, il faut d’abord en savoir plus sur les origines de sa réussite. Comme expliqué dans cet article du Guardian paru trois ans plus tôt, son ascension débute en 2000 lorsqu’il co-fonde, aux côtés du Suédois Torbjörn Törnqvist, le groupe Gunvor. Cette entreprise, basée en Suisse et spécialisée dans le négoce de pétrole, connaît rapidement une forte croissance au moment de l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Un succès qui permet aujourd’hui au nabab de jouir, selon Forbes, d’une fortune personnelle se montant à 14 milliards de dollars.

L’ombre du président russe plane d’ailleurs avec insistance sur la biographie de Timchenko. Ce même article du journal britannique note en effet que les deux hommes ont pratiqué le judo ensemble, tout en se côtoyant régulièrement dans le Saint-Pétersbourg des années ’90. En 2014, le quotidien Le Monde évoquait même certains bruits de couloirs faisant état de leur passé commun dans les rangs du KGB. Une simple rumeur selon les principaux intéressés.

À partir de 2003, la chute de Yukos, compagnie pétrolière gérée par Mikhail Khodorkovsky, un rival de Poutine, accélère la montée en puissance du groupe Gunvor : de 5 milliards de revenus en 2005, la compagnie passe à 43 milliards en 2007. Cette croissance express éveillera néanmoins les soupçons. En décembre 2007, l’analyste russe Stanislav Belkovsky proclame au Guardian que Poutine a secrètement amassé une fortune de 40 milliards de dollars. Pour ce faire, le chef d’état contrôlerait notamment, de manière indirecte, 75% des parts du groupe Gunvor. Des allégations jugées peu crédibles par certains observateurs, et vigoureusement réfutées par Poutine lui-même, trois mois plus tard.

Les liens étroits entre Timchenko et son président furent aussi mis en avant lors du processus d’organisation des J.O de Sotchi, en 2014. Le Guardian, toujours, revenait alors sur les largesses de l’état dont le groupe de construction SK Most, piloté par le milliardaire et ses associés, aurait bénéficié pour préparer un chantier sur le site olympique.

Cette année 2014 fut également celle d’un tournant majeur dans les affaires de Timchenko. Suite à la crise en Crimée, l’administration Obama prend des sanctions contre la Russie et notre homme se retrouve sur liste noire. Le co-fondateur de Gunvor est alors forcé de vendre ses parts (43%) de la société à son associé Tobjörn Törnqvist. Quelques mois plus tard, le Wall Street Journal révèle qu’une enquête américaine portant sur des soupçons de blanchiment d’argent est en cours. Des transactions entre Gunvor et le groupe Rosneft sont inspectées. Le nom de Poutine, lui, est murmuré…

Un épisode qui laissera des traces. Pourtant implanté à Genève depuis le début des années 2000, Timchenko se fait désormais rare sur le sol suisse. Le 4 août dernier, le quotidien Le Temps nous apprenait que le milliardaire ne quitte maintenant plus la Russie, bien que sa femme et son fils résident toujours sur les rives du Lac Léman.

S’il n’est donc plus lié à Gunvor, l’oligarque possède cependant de nombreuses actions dans plusieurs entreprises russes, dont Novatek, le deuxième plus gros producteur de gaz naturel du pays. L’ensemble de ses holdings sont d’ailleurs supervisées par l’entité Volga Group, une compagnie qui annonçait, en 2014, avoir engagé à sa tête un certain Dmitry Chernyshenko. La même année, celui-ci sera nommé président de la KHL…

De Pékin à Helsinki: une influence tentaculaire sur la Ligue Continentale

Proche du pouvoir, Timchenko s’est ainsi retrouvé au cœur de l’utilisation politique du hockey mise en place par Vladimir Poutine. Outre ses liens avec Chernyshenko, l’homme d’affaires pilote donc le SKA Saint-Pétersbourg, une véritable place forte de la KHL. Dans ses rangs, des noms clinquants comme Ilya Kovalchuk ou Pavel Datsyuk. Dans les coulisses, toute la puissance financière du géant Gazprom, l’un des leaders mondial dans le secteur des hydrocarbures, un milieu que Timchenko connaît parfaitement.

Pour Gazprom, notre homme a d’ailleurs réalisé un travail d’implantation important en Chine, avec le soutien de Poutine. En 2014, le Moscow Times annonce qu’après les sanctions américaines, le magnat s’est retrouvé chargé des échanges économiques avec l’Empire du Milieu. Un contrat entre Gazprom et les autorités chinoises est alors officialisé. Et deux ans plus tard, l’équipe du Red Star Kunlun sort de terre.

Portée par l’appui financier de Billy Ngok Yan-yu, un investisseur local ayant fait fortune dans le pétrole et le gaz naturel, la formation intègre la KHL. Au capital de la franchise, on retrouve également un investisseur russe… Gennady Timchenko. D’après Ying Da, un proche du club interrogé par le Globe and Mail, c’est bien le milliardaire russe qui a poussé son homologue chinois à s’associer avec lui dans le hockey. Il en aurait fait une condition sine qua non pour pouvoir, par la suite, développer d’autres partenariats. Fort de ses connections très étroites avec le pouvoir, Timchenko est finalement parvenu à faire venir les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping lors de la cérémonie marquant l’adhésion du Red Star à la KHL.

Mais malgré cette escale asiatique, c’est bien le SKA qui reste au cœur de son engagement dans le sport. Symbole d’excellence, la formation de Saint-Pétersbourg bénéficie d’une place à part sur le circuit russe. La supériorité du club et son statut particulier dans la KHL furent notamment illustrés durant l’exercice 2014/15, avec l’affaire Mikko Koskinen.

L’histoire, évoquée dans cet article de Vice Sports, débute dans les bureaux du Sibir Novosibirsk. Le gardien finlandais y fait alors part de ses inquiétudes suite à la chute du cours du rouble, qui baisse la valeur de son contrat. Contrarié, Koskinen aurait ensuite refusé de jouer pour le Sibir, une attitude violemment dénoncée à l’époque par les médias russes. Deux jours plus tard, il est finalement échangé à Saint-Pétersbourg et, bien que la réglementation impose aux équipes de rémunérer leurs joueurs en roubles, il n’exprimera cependant plus aucune inquiétude quant à ses émoluments.

Depuis, certains observateurs s’interrogent. Le club de Timshenko a-t-il trouvé une autre voie pour compenser les pertes de Koskinen? Quoi qu’il en soit, l’opération aura permis au SKA de s’offrir un gardien de premier plan, dont l’apport fut encore déterminant au printemps dernier, lorsque le club a remporté sa seconde Coupe Gagarin… Depuis l’arrivée de Timshenko en 2011, Saint-Pétersbourg a ainsi ramené deux titres de champion dans sa besace (2015, 2017), en dépensant sans compter.

À la tête du club, le puissant milliardaire est par ailleurs secondé par Roman Rotenberg, un autre membre illustre de l’oligarchie russe. Âgé de 36 ans, le vice-président du SKA est le neveu d’Arkady Rotenberg, un personnage partageant beaucoup de points communs avec Timchenko.

Comme lui, ce proche de Poutine a pratiqué le judo aux côtés du chef de l’état et comme lui, il a été impliqué sur les chantiers des Olympiques de Sochi. Géant de la construction, Rotenberg a lui aussi été placé sur liste noire par Washington en 2014. Il fut également engagé dans le hockey jusqu’en 2015, année où il se sépara du Dynamo Moscou, une franchise ayant remporté deux titres de KHL sous son égide, en 2012 et 2013. Depuis son départ, le club est d’ailleurs rentré dans une spirale très négative sur le plan financier.

Réunis sous le même pavillon, Gennady Timchenko, Roman Rotenberg et son père Boris, le frère d’Arkady, ont pu étendre leur influence jusqu’en Finlande. Ainsi, le trio possède actuellement 49% des parts du Jokerit Helsinki, l’unique formation scandinave évoluant en KHL. La Hartwall Arena, qui accueille les rencontres à domicile du club, appartient également aux puissants investisseurs russes.

Cet afflux de capitaux, qui a permis d’assurer l’entrée de l’équipe au sein de la Ligue Continentale, a toutefois été froidement accueilli par les partisans locaux. La proximité des oligarques avec le SKA a soulevé doutes et contestations. L’an passé, le média finlandais Yle rapportait que le départ à Saint-Pétersbourg de Steve Moses, attaquant américain révélé sous les couleurs du Jokerit, avait éveillé quelques frustrations.

Depuis, les partisans ont de nouveau levé la voix, notamment lorsque la chanson emblématique du SKA fut diffusée dans leur aréna, après un but d’Helsinki et alors que les locaux avaient l’avantage sur leurs rivaux. Une banderole de contestation fut ensuite érigée dans l’aréna, les fans reprochant également à leurs dirigeants l’apparition soudaine de produits du SKA à la boutique du club. Timchenko, qui possède la double-nationalité russe et finlandaise, demeure malgré tout à la manœuvre aux côtés de Hjallis Harkimo, actionnaire majoritaire et propriétaire historique du Jokerit.

Un mécène à Genève

Impliqué dans trois structures de KHL, notre homme est aussi un ambassadeur du hockey à l’international. En 2014, à l’annonce de son placement sur liste noire par les États-Unis, Hugh Quennec, le président du Genève-Servette HC, avait tenu à intervenir dans la presse helvète pour défendre celui qui, par l’entremise du groupe Gunvor, était alors l’un des plus gros sponsors de son club :

« Vous savez, Gennady Timchenko ne correspond pas du tout à l’image qu’on se fait d’un oligarque. Il est discret, presque timide, généreux et cultivé, amateur d’art et de musique » avait-il lancé dans la Tribune de Genève. « Il a sûrement connu Poutine. Tous les grands industriels fréquentent les gouvernements, aux Etats-Unis, au Canada et en Suisse, sans que cela pose problème. En Russie par contre, c’est tout de suite suspect. Et maintenant, que va-t-on dire? Que Poutine dit à McSorley (l’entraîneur du GSHC à l’époque, ndlr) comment composer l’équipe? »

Réitérant sa pleine confiance en Timchenko, Quennec avait également vanté la puissance financière du groupe Gunvor :

« Il pourrait faire du GSHC, le quatrième plus petit budget de la ligue, une équipe au budget colossal et nous faire gagner chaque année, mais ce n’est pas son but » avait-t-il assuré.

Au Servette, la présence de Timchenko s’est aussi faite sentir via sa Fondation Neva, partenaire du programme  »Genève Futur Hockey Challenge », et honorée par le club un soir de 3 mars 2015. Cette structure, qui a également financé des cours d’échecs dans les écoles locales, s’est ainsi créée de sérieux relais dans la communauté genevoise.

Une implication qui ne plaît pas à tout le monde. Quotidien marqué à gauche, Le Courrier s’était notamment inquiété de l’omniprésence de cette fondation financée par Gunvor. Le journal avait rappelé que le groupe de Timchenko s’était retrouvé sous le coup d’une enquête de la justice suisse en 2012, sur fond de blanchiment d’argent dans des marchés pétroliers congolais. Une réputation sulfureuse, qui n’a visiblement pas gêné la direction du Genève-Servette.

Influent, le groupe Gunvor peut l’être jusqu’en Suède, où Torbjörn Törnqvist, le premier associé de Timchenko a lui aussi choisi d’investir dans le hockey. D’après le média local Aftonbladet, le magnat a investi à hauteur de 12 millions de couronnes pour renflouer l’AIK Hockey, un club de seconde division basé à Solna, près de Stockholm. Même sans l’oligarque à sa tête, l’entreprise pétrolière reste donc impliquée (indirectement, certes) dans le sport si cher à son co-fondateur.

Ce rapport particulier au hockey est ainsi symptomatique de son utilisation par Vladimir Poutine. Outil géopolitique, la KHL est administrée par des proches du président, qui s’emploient à développer l’image de la Russie à l’international. Rouage-clé de ce système, Gennady Timchenko en est même la personnification, lui qui cherche, en Chine comme en Suisse, à faire bien paraître son pays en investissant dans le sport.

Son arrivée dans le capital de Jokerit, dont l’entrée dans la KHL constituait une véritable prise de guerre pour le circuit, ainsi que son travail de fond à Pékin, sont autant de d’illustrations d’une Russie en quête d’influence. Une certaine vision du  »soft power » venue de l’Est, qui fait du SKA Saint-Pétersbourg, cette équipe de vedettes au jeu flamboyant, sa véritable image d’Épinal.

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