Gerard Gallant, l’histoire d’un coach | Partie 1, l’exploit de Summerside et les ratés de Columbus
Cette année, le parcours des Golden Knights de Vegas a logiquement attiré les projecteurs à travers la LNH. Au cœur de cette performance impressionnante, le coach Gerard Gallant s’est lui imposé comme le favori logique pour l’obtention du Trophée Jack-Adams. L’ex-entraîneur des Panthers, également connu pour ses passages contrastées en LHJMQ (réussi) ou chez les Blue Jackets (raté), est ainsi devenu l’une des figures de proue de sa profession, seulement quelques mois après son congédiement choc en Floride.
Mais qui est vraiment cet entraîneur réputé, parfois assimilé à la vieille école? Comment l’ancien attaquant des Red Wings a-t-il débuté sa reconversion sur le banc? Et surtout, de quelle manière ce tacticien, réputé pour son bon contact avec les joueurs, gère-t-il ses hommes? Pour le savoir, nous vous proposons de retracer son parcours sur plus de 20 ans, à l’aide de deux témoignages inédits, pour ainsi mieux comprendre le style de coaching à l’origine de ses succès.
Aujourd’hui, dans la première partie, nous nous concentrerons sur ses deux premières expériences de technicien, à Summerside et Columbus…
Summerside, le retour gagnant
Nous sommes en 1995. Plus de deux ans après son dernier match dans l’uniforme des Red Wings, Gerard Gallant retrouve sa ville natale de Summerside, sur l’Île-du-Prince-Édouard. Sa situation est alors compliquée. Miné par des blessures au dos, l’ailier de 32 ans a raté sa sortie en LNH, après un passage sans éclat chez le Lightning de Tampa Bay (1993/94).
En 1994, il rejoint les Knights d’Atlanta au sein de la défunte Ligue Internationale de Hockey. Il y disputera 16 parties, puis tentera d’amorcer la saison 1995/96 dans les rangs de Vipers de Détroit. Mais au bout de trois matchs, seulement, avec sa nouvelle équipe, ses problèmes physiques refont surface et Gallant se retrouve contraint de mettre un terme à sa carrière.
Une fin précipitée, qui le pousse rapidement à se focaliser sur la suite. Revenu à Summerside, il rentre en contact avec les Western Capitals, l’équipe locale de Junior A, membre de la Ligue des Maritimes (MJAHL). Le début de l’aventure qui lancera son parcours de coach:
« Il a commencé comme assistant, avant d’obtenir rapidement le poste d’entraîneur-chef » nous explique Mike White, qui a rejoint les Caps comme joueur en décembre 1996. « Toute le monde savait qui il était du fait de sa carrière en LNH, donc il a tout de suite reçu un intense respect de la part des joueurs et de la communauté. »
Même au pic de son passage à Détroit, celui que ses collaborateurs surnomment « Turk » a toujours gardé une affection particulière pour sa ville d’origine. Retournant à Summerside chaque été, il entretient un lien privilégié avec la population locale, tout en jouissant de cette aura acquise chez les Red Wings. Mais rapidement, plus que le CV de joueur, c’est la méthode du nouvel arrivant qui commence à marquer les membres de l’organisation. Gallant est exigeant, développe un bon contact avec ses hommes et surtout, obtient de leur part une attitude de combattants sur la glace:
« C’était toujours notre objectif, remporter la bataille dans les trois zones » note White. « Turk attend de ses joueurs qu’ils poussent le rythme à tout moment. Ces équipes ne seront jamais moins travailleuses que l’adversaire. »
Petit à petit, les Western Capitals gagnent en confiance, mais il faut attendre la saison suivante, en 1997, pour voir l’équipe s’élever vers un exploit qui marque encore aujourd’hui le hockey sur l’Île-du-Prince-Édouard.
Pour le deuxième exercice de Gallant à la tête de l’équipe, Summerside obtient en fin de saison le rôle d’hôte de la Coupe Royal Bank. Le trophée, qui représente l’équivalent de la Coupe Memorial pour les équipes de Junior A, en est alors à sa deuxième année d’existence sous sa forme actuelle. Si le remporter représente un sacré défi, la troupe de Gallant ne s’en effraie pas, et s’emploie d’abord à poster une saison régulière solide dans sa Ligue des Maritimes. Leaders de leur division, les Caps se qualifient pour les Séries et disposent des River Cats de Restigouche durant la première ronde. Puis, c’est un rival local qui se dresse face à eux.
Pour les demi-finales de la MJAHL 1997, l’Île-du-Prince-Édouard est en ébullition. Face-à-face, deux équipes de la province, les Western Capitals de Summerside et les Abbies de Charlottetown, croisent le fer dans une série qui s’étendra jusqu’à 7 rencontres. Bien que menés 3 matchs à 1, les hommes de Gerard Gallant s’accrochent, et parviennent à éliminer leur rivaux. Un succès arraché dans des conditions dantesques:
« La victoire contre nos ennemis jurés de Charlottetown fût un fait saillant de notre parcours en Séries Éliminatoires » explique White. « Il y a eu une énorme tempête de neige durant la série, donc nous avons été forcés de jouer 5 matchs en 5 nuits pour la conclure. »
Un »come-back » qui illustre le thème principal du parcours hors-norme de l’équipe de Gallant. Souvent menés, ses joueurs ne renoncent pas et parviennent toujours à se remotiver pour surprendre leurs adversaires. En finale, face à Dartmouth, l’équipe remonte un retard de 2 matchs à 0, puis de 3 matchs à 2, pour aller s’offrir le titre de champion MJAHL:
« L’atmosphère était folle » se souvient White. « Nous sommes revenus de Dartmouth en bus après le match 7, à 2 heures du matin. À notre arrivée, les rues de Summerside étaient remplies de voitures, les partisans nous encourageaient. Ils nous ont suivi jusqu’à la patinoire pour une célébration improvisée. »
Les Caps n’ont toutefois pas l’occasion de savourer longtemps, car leur saison est loin d’être terminée. Vainqueurs de la Coupe Callaghan, ils doivent désormais représenter les Maritimes à la Coupe Fred Page, qui rassemble les champions de la Zone Est du hockey junior A. L’équipe en mesure de remporter le tournoi obtiendra ensuite son ticket pour la Coupe Royal Bank, la compétition nationale. Déjà qualifiés pour cette dernière grâce à leur statut d’hôtes, les Western Capitals font néanmoins l’impasse, et repartent de l’Ontario sans la moindre victoire.
Pour Gallant, la priorité reste logiquement la Coupe Royal Bank, qu’il compte bien offrir à Summerside. Avec 88 matchs au compteur (!), les Caps postent toutefois un début de tournoi en demi-teinte, en présentant un bilan d’une victoire pour trois défaites sur leurs quatre premiers matchs. Un total qui reste suffisant pour se qualifier en demi-finale, où les locaux se tiennent prêts à affronter les Red Wings de Weyburn. Menés 2-0 en début de rencontre, les joueurs de Gallant sont maintenus dans le match par leur gardien Harlin Hayes, qui fait face à 57 tirs adverses.
Revenus à 3-3 en fin de rencontre, les Insulaires forcent leurs adversaires ontariens à poursuivre la bataille en prolongation. La suite appartient à notre témoin Mike White, auteur du but vainqueur dans la foulée d’une mise au jeu gagnée par son frère Mark, qui évolue alors sur la même ligne que lui. Les deux frangins n’avaient jamais joué ensemble avant cette saison 1996/97, où ils ont été réunis sous l’égide de Gerard Gallant:
« Nous avons eu une chimie instantanée. Dès mon premier match, nous avons tous les deux obtenus un tour du chapeau à la Gordie Howe, et on n’a plus bougé. On a disputé 95% de la saison ensemble » raconte Mike White. « Avoir la chance de jouer avec mon frère et de pouvoir disputer la Coupe Royal Bank, cela fait partie des raisons qui m’ont poussé à revenir jouer à Summerside. »
Un choix payant. Avec les Caps, les frères White avancent en finale de la RBC, le tout à domicile, dans la chaude ambiance du Cahill Stadium. En face, c’est une équipe venue de l’Ouest, les Eagles de South Surrey, qui tentera d’aller chercher le titre. Dans ses rangs, on retrouve notamment le futur joueur de la LNH Scott Gomez. À nouveau, Summerside s’apprête à revêtir le costume de l’outsider.
Mais cette équipe a de la ressource. Capables de combler de nombreux retards au fil de leur parcours, les hommes de Gerard Gallant font preuve d’une solidité mentale exemplaire. Une ténacité que White met au crédit de son ex-entraîneur :
« Nous avons connu l’adversité tout au long de notre parcours, depuis les séries contre Charlottetown et Dartmouth. Peu importe le scénario, l’équipe pensait toujours pouvoir remonter » observe-t-il. « Turk nous disait toujours qu’il fallait continuer à pousser, que ça finirait par payer. Il a su nous garder calmes et concentrés. Il ne voulait jamais que l’on soit trop euphoriques, ou trop déprimés. C’était lui notre force stabilisatrice, c’est certain. »
Une bonne gestion humaine, qui fait écho au côté psychologue de Gallant, toujours proches de ses joueurs, quel que soit l’environnement. Et en ce soir de mai 1997, pour la finale de la Coupe Royal Bank, les Western Capitals ont bien besoin de sentir le soutien de leur coach.
Une nouvelle fois, Summerside se retrouve mené 2-0, encaissant notamment un but de Scott Gomez. Jason Chalmers réduit la marque pour les locaux, mais Dan Vandermeer signe un doublé pour permettre à South Surrey de mener 3-1. Après avoir écopé d’une pénalité majeure, les Eagles se retrouvent néanmoins en infériorité numérique pour cinq minutes, permettant à Mike White et Steven Dyer d’égaliser (sur deux passes décisives de Mark White). Revenu à cinq, les visiteurs continuent de mettre la pression, mais le gardien Harlin Hayes tient bon, avec 35 arrêts. Et puis, en milieu du troisième tiers-temps, Chalmers récupère un rebond et permet aux Western Capitals de prendre l’avantage. Ils ne le laisseront pas filer.
Gerard Gallant vient alors de s’offrir son premier titre de coach sur la scène nationale. Un événement qui marquera profondément la ville de Summerside qui se délecte, encore aujourd’hui, de ce beau succès arraché à domicile:
« L’été dernier, nous nous sommes rassemblés pour l’anniversaire des 20 ans de la victoire. L’équipe a été célébrée à quelques événements communautaires » lance White. « C’est extraordinaire de parler aux gens de Summerside et de voir à quel point l’impact de la victoire a été fort pour eux. On peut encore ressentir l’excitation dans leurs voix quand ils en parlent 20 ans après. C’est quelque chose que la ville de Summerside n’oubliera jamais et la bannière restera accrochée dans la patinoire pour toujours. »
Pour Gallant, ce succès aura probablement éveillé quelques ambitions. L’entraîneur-chef restera en poste encore un an avec les Western Capitals, avant de rejoindre l’IHL à titre d’assistant chez les Comets de Fort Wayne. Une saison s’écoule, puis il rejoint les Panthers de Louisville dans la LAH, toujours à titre d’adjoint. Mais c’est en 2000, dans l’Ohio, que l’ex-Red Wing se voit offrir une opportunité qui va changer le cours de sa carrière…
Un dur apprentissage à Columbus
À l’orée de la campagne inaugurale des Blue Jackets en 2000/01, la franchise d’expansion est administrée par l’erratique Doug MacLean. Président et directeur général, le natif de Summerside n’hésite pas à s’entourer de personnes de confiance pour instaurer une certaine culture dans son organisation. Autour de lui, de nombreux hommes venus de l’Île-du-Prince-Édouard viennent donc poser leurs valises à Columbus. Jim Clark, l’assistant-DG, George Matthews, le commentateur de match et plus tard, Jim Rankin, le « team manager »… tous sont originaires de la province des Maritimes. Nouveau venu dans l’équipe technique du coach Dave King, Gerard Gallant ne fera pas exception.
De fait, les liens qu’il partage avec le DG des Jackets sont forts. Plus jeune, à Summerside, Gallant a fait ses premiers de joueur dans des écoles de hockey locales dirigées par MacLean. À différentes époques, les deux hommes ont tous deux revêtu le costume d’entraîneur des Western Capitals. Et bien-sûr, il y a ce passage commun aux Red Wings de Détroit. Entraîneur-assistant, puis directeur général adjoint de 1990 à 1994, MacLean y a connu Gallant dans ses dernières années de joueur professionnel, après ses meilleures saisons écoulées comme partenaire de ligne de Steve Yzerman. La LNH étant souvent une Ligue de vieux amis, leur réunion au sein de la même organisation semble donc tout ce qu’il y a de plus naturel.
Mais à Columbus, tout reste à construire alors que les premiers pas de la franchise s’avèrent… hésitants. Après deux premières saisons bouclées loin des Séries, Doug MacLean passe à l’action lors de la campagne 2002/03 et s’installe sur le banc, en remplacement de Dave King. Les Tuniques Bleues bouclent finalement leur troisième année d’existence au dernier rang de l’Association de l’Ouest. Une nouvelle déception, qui contraste avec les succès rencontrés par le Wild du Minnesota, l’autre franchise d’expansion de l’an 2000. Cette année-là, la jeune équipe décroche, sous la houlette de Jacques Lemaire, sa première participation au tournoi printanier…
Une réputation d’instabilité s’installe alors autour des Blue Jackets, tandis que la personnalité de MacLean fait débat. Au cours de la saison 2003/04, le dirigeant, qui cumule toujours les fonctions de coach et de DG, fini par céder le banc de l’équipe à l’un de ses collaborateurs. En cours de saison, Gerard Gallant décroche donc, à seulement 40 ans, son premier poste d’entraîneur-chef au sein de la Ligue Nationale. À l’intérieur de l’équipe, le jeune technicien conserve en effet la confiance de l’irascible dirigeant, qui n’hésite pas à lui confier les rênes de l’équipe:
« Avec Doug, on sait toujours où on en est » confiait Gallant en 2008, sur le site du Tampa Bay Times. « Il est excité, enthousiaste. Il aime la vie. »
Malheureusement pour le duo, leur bonne entente en coulisses ne se traduit pas par des résultats sur la glace. La fin de saison 2003/04 est une nouvelle fois conclue dans les bas-fonds de l’Association de l’Ouest, et la première campagne complète de Gallant aux commandes, en 2005/06 (lock-out de 2004/05 oblige), n’est guère plus enthousiasmante, avec une 13ème place à l’Ouest et seulement 35 victoires au compteur.
Finalement, la campagne 2006/07 signera la fin de l’expérience Gallant à Columbus. Armés d’un contingent de joueurs plutôt doués en attaque (Rick Nash, Fredrik Modin, David Vyborny, Sergei Fedorov, Nikolai Zherdev…), les Blue Jackets peinent pourtant à compter des buts. Avec un bilan de 5-9-1-0 sur ses 15 premiers matchs, le coach est débarqué et remplacé par l’expérimenté Ken Hitchcock. Une séparation douloureuse pour les deux parties, qui entachera également la réputation de Gallant.
À Columbus, la philosophie détendue de l’entraîneur canadien ne semble pas avoir convaincu les joueurs. À son départ, les langues se délient et rapidement, l’image d’un Gallant mal préparé pour de telles responsabilités commence à prendre racine. En 2012, soit 5 ans après son licenciement, Jonathan Willis, de l’Edmonton Journal, revenait en ces termes sur son passage dans l’Ohio:
« Les Jackets n’ont pas bien performé sous Gallant. À vrai dire, ils n’ont pas fait pire sous Gallant que sous King ou MacLean […] mais il y a tout de même eu une grosse évolution en 2006/07 lorsque Ken Hitchcock a récupéré le poste d’entraîneur-chef » écrivait-il . « L’attaquant Anson Carter, qui n’a pas été très bon sous Gallant, a comparé les performances du club à celles d’une équipe de LAH après son départ. […] Et puis, certains commentaires dans la presse locale évoquaient même une atmosphère de »country-club » sous Gallant, dont on percevait le manque de leadership solide. »
Ce coach si proche des joueurs aurait-il échoué à gagner le respect de ses hommes? Rétrospectivement, Gallant était-il prêt à gérer un vestiaire de LNH si tôt dans sa carrière? Ce qui est certain, c’est que son passage à Columbus ne lui aura en tout cas pas permis de se faire un nom en tant qu’entraîneur dans la Ligue Nationale. Et les deux années qui ont suivi, passées dans le staff de Ted Nolan et de ses médiocres Islanders, n’ont pas aidé.
À l’issue de cette aventure décevante dans l’Ohio, puis de ce passage oubliable comme assistant dans la franchise new-yorkaise, Gallant avait donc besoin d’un nouveau challenge pour se relancer. Et c’est dans les rangs juniors, non loin de sa terre natale, qu’il allait finir par le trouver…
Note: La deuxième partie de ce portrait sera à retrouver demain sur le site.
Sources Additionnelles: peipucks.com et le Journal Pioneer de Summerside pour les résumés de match des Western Capitals.
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