Qu’impliquerait un plafond salarial en séries?
La semaine dernière, les 32 directeurs généraux de la LNH se sont rencontrés en Floride pour leur rendez-vous annuel. Ils y ont discuté de la possibilité d’implanter un plafond salarial pendant les séries. Les discussions pour ajouter une telle mesure à partir du printemps 2023 ont débuté. Le projet est toujours embryonnaire, mais les 32 DGs semblent du moins ouverts à l’idée. La question était devenue nécessaire, après le sacre du Lightning l’an dernier. Rappelons-nous que malgré la masse salariale de l’équipe, frôlant les 100 millions de dollars, Tampa avait gambadé jusqu’en finale. Le joueur étoile Nikita Kucherov et son contrat de 9,5M$ avaient été activés de la liste des blessés à long terme, juste avant le début séries. Avec 32 points en 23 parties, Kucherov avait terminé 1er marqueur des séries, 9 points devant Brayden Point. Avec une situation similaire à Vegas cette saison, plusieurs décideurs et partisans croient qu’il est temps de modifier les règles. Mais, concrètement, qu’est-ce que ça changerait d’avoir un plafond lors des séries éliminatoires?
Comment fonctionne le plafond?
Excellente question! Je suis content que vous vous la posiez. Tout d’abord, le plafond est la limite à ne pas dépasser pour la masse salariale de chaque équipe. La masse salariale est l’addition de plusieurs facteurs. Ces facteurs sont les salaires moyens des joueurs. Par exemple, si un joueur signe pour 2 ans et 12M$, son salaire moyen sera 12M ÷ 2 ans = 6 (M$/an). Même si le joueur est payé 7M$ la première année et 5M$ la deuxième, son salaire moyen demeure 6M$, lui.
Par la suite, les salaires moyens des joueurs dans l’alignement ou retranchés (dans les estrades) font partie de la masse. De plus, les joueurs blessés ou suspendus par le département de la sécurité des joueurs sont aussi comptabilisés. Un joueur suspendu pour une affaire hors glace – genre Evander Kane – ne compte pas sur la masse salariale. Et finalement, les joueurs de la Ligue Américaine avec un contrat à un volet et un salaire de 1,076M$ et plus font également partie du calcul. Lorsque Karl Alzner évoluait pour le Rocket, il comptait donc sur la masse salariale du Canadien. À chaque jour, à 17h00, heure de l’Est, aucune équipe ne peut se retrouver au-delà de la limite fixée. Cette année, cette limite est de 81,5M$ et augmentera à 82,5M$ pour la prochaine saison.
Et la LTIR dans tout ça?
La LTIR (Long-term injury reserve) est la liste des blessés à long terme. Pour y être éligible, un joueur doit manquer (ou être en voie de) 10 matchs et 24 jours d’activités. Lorsqu’un joueur est inscrit sur cette liste, toute la partie de son salaire qui dépasserait le plafond ne compte pas. Elle est donc inscrite dans la banque LTIR de l’équipe et ce montant ne compte pas sur la masse salariale. Par exemple, si le salaire moyen d’un joueur est 6M$ et que l’équipe est 4M$ sous le plafond (77,5M), seulement 2M$ (la différence) ira dans la banque. Si, par contre, l’équipe procède à un ou des rappels de joueurs et que la masse grimpe à 81,49M$, c’est alors 5,99M$ du salaire moyen du joueur blessé qui ira dans la banque. Le 10,000$ restant comptera sur le plafond.
C’est pour cette raison qu’on entend souvent dire qu’un joueur est placé rétroactivement sur la LTIR, datant d’il y a déjà plusieurs jours. Les équipes vont attendre de connaître la gravité exacte de la blessure en plus de procéder à tous les rappels nécessaires avant d’inscrire un joueur comme blessé à long terme.
Un plafond en séries ça changerait quoi?
Avant d’activer dans l’alignement un joueur provenant de la LTIR, une équipe doit libérer suffisamment d’espace sur la masse salariale afin de réintégrer le montant total mis sur la banque LTIR. Prenons Vegas par exemple: les Golden Knights ont présentement une masse salariale de 78,8M$ (Pacioretty inclus). Avec un peu plus de 2,7M$ disponibles, ils ne peuvent réintégrer ni Mark Stone (9,5M), ni Reilly Smith (5M) de la LTIR. Kelly McCrimmon, le DG des Knights, devrait donc libérer 2,3M$ pour réintégrer Smith et 6,8M pour retrouver son capitaine. Après le 29 avril, il pourra réintégrer tout se beau monde sans problème, puisque le plafond deviendra caduc. Donc, quelles sont les options que pourraient envisager les directeurs généraux?
Plafond actuel standard
Premièrement, les DGs ont l’option de conserver le plafond salarial avec les règles actuelles, pour les séries. Cela pourrait causer plusieurs problèmes aux directeurs généraux avec des masses salariales très près du plafond. Rappelons qu’un joueur blessé ou suspendu compte encore sur la masse de son équipe. Lors des séries de 2019, Kucherov avait reçu une suspension (très peu sévère) d’un match pour avoir donné de la bande sur Markus Nutivaara. Peu importe le joueur appelé à remplacer Kucherov (c’était Ryan Callahan), le salaire moyen du Russe aurait compté pour le Lightning lors de sa suspension.
Même son de cloche dans le cas d’une blessure. Si un joueur se blesse – coucou au jeu physique des séries – celui-ci compte encore sur la masse salariale. Le seul moyen pour éviter ce casse-tête financier serait de consigner le joueur blessé à la LTIR. Cette solution force cependant le joueur à manquer les 10 prochains matchs de son équipe. Tsé quand ça va ben…
Plafond salarial adapté uniquement aux joueurs en uniforme
Je ne vous mentirai pas, c’est ma solution préférée. Pourquoi? Pour 2 raisons. Tout d’abord, ça pourrait tellement foutre le bordel! Imaginez que la LNH diminue le plafond en séries de 5M$. Le plafond passe donc de 81,5 à 76,5M, mais uniquement pour les 20 joueurs en uniforme. Avec leurs 20 meilleurs partants, Vegas affiche une masse salariale de 83,4M$ et Tampa de 80,5M$. En comparaison, Toronto frôle les 72M$. Tampa Bay pourrait régler son problème en laissant de côté Ryan McDonagh. Du côté du Nevada, il faudrait délaisser Alec Martinez, en défense, en plus d’un autre joueur comme Evgenii Dadonov, Reilly Smith ou Robin Lehner.
Comme vous pouvez le voir, plusieurs aspects de la game se voient modifiés. La signature – ou re-signature – d’un joueur et le montant exact du contrat deviennent encore plus importants. De plus, la rétention de salaire lors de l’acquisition d’un joueur devient un facteur qui prend davantage de valeur. Une tierce équipe qui retient 1M$ (25% de 4M$) exige souvent un choix de 4e tour. Ça peut grimper jusqu’à un choix de 3e tour pour un montant avoisinant les 2M$. Dans le nouveau contexte, les équipes pourraient augmenter le prix pour retenir du salaire. Comme quoi, l’inflation c’est pas juste pour le prix du gaz.
Imaginez maintenant être Reilly Smith en ce moment, et voir Dadonov enchaîner les grosses performances et les gardiens auxiliaires connaître des sorties difficiles. Imaginez revenir au jeu avec la pression de performer au maximum, sinon c’est probablement toi que l’entraineur va bencher pendant les séries. Ou encore être un DG à la date limite des transactions et tenter d’obtenir un joueur vedette et de trouver une tierce équipe pour prendre 1,5-2M$ de son salaire moyen sans que ça te coûte un bras et une jambe. C’est ça que je voulais dire lorsque je parlais de foutre le bordel.
Les DGs super-vedettes
Dans un deuxième temps, ça permettrait aux meilleurs DGs d’avoir un impact encore plus grand sur le jeu. Dans une LNH modifiée, les directeurs généraux doivent se surpasser en talent et en créativité pour améliorer leur équipe. Chaque directeur général pourrait avoir son étiquette de superpouvoir, style jeu vidéo: Marc Bergevin – maître négociateur, Julien Brisebois – pro des transactions, Don Waddell – prophète recruteur, Kyle Dubas – sorcier financier ou encore Steve Yzerman – rusé manipulateur. Chaque détail devient essentiel: convaincre un joueur de signer à prix abordable, renégocier un bon contrat, obtenir la transaction que tu désirais, larguer du salaire sans compromettre ta banque de choix, etc. On a souvent tendance à négliger l’impact d’un bon directeur général, contrairement à l’entraîneur-chef ou aux joueurs vedettes. Ce changement aurait pour effet de rendre leur travail encore plus important qu’il ne l’est déjà.
La NCAA en profite sur le dos de la LCH?
Avant tout, je ne présume pas qu’il y aura un exil massif des joueurs canadiens vers les universités américaines. Les futurs Connor Bedard, Shane Wright et Alexis Lafrenière ne vont pas tous quitter la Ligue canadienne de hockey pour la NCAA. Par contre, avec le dernier scénario, il serait possible de voir davantage de joueurs au potentiel B/B+ le faire.
Dans la LCH, la saison (68 matchs) et les séries évoluent sensiblement au même rythme que la LNH. Puisque la saison est plus courte en NCAA (30 à 35 matchs), les séries débutent un peu avant la mi-mars. Généralement, le tournoi du Frozen Four prend fin vers la mi-avril. Pour être éligible à évoluer dans la NCAA, un joueur ne peut avoir signé un contrat professionnel. C’est donc dire qu’aux alentours de la date limite des transactions, plusieurs espoirs repêchés, mais non signés, voient leur agenda se libérer subitement. Pour les équipes de la LNH, certains de ces jeunes pourraient s’avérer très utiles. En plus d’être disponibles 4 à 10 semaines avant les espoirs de la Ligue Canadienne, les joueurs de la NCAA sont souvent plus matures (19 à 23 ans), et donc plus aptes à évoluer dès maintenant pour une formation de la Ligue Nationale.
Récemment, plusieurs joueurs de 21 à 23 ans, tels Nick Abruzzese (TOR), Jordan Harris (MTL), Jack McBain (ARI), Ryan Fanti (EDM) ou Ronnie Attard (PHI), ont signé des contrats d’entrée. Avec des salaires moyens sous les 900,000$, ces joueurs pourraient s’avérer de belles aubaines. Encore une fois, imaginez-vous à 22-23 ans, diplôme universitaire en poche, premier contrat professionnel à renouveler dans un petit 15 mois et avoir votre première chance chez les pros pour le dernier mois de la saison régulière, puis les séries. Ce genre de scénario pourrait en faire rêver plusieurs et en convaincre quelques-uns d’emprunter la voie de la NCAA plutôt que la LCH.
En conclusion
Je ne sais pas plus que vous quel genre de scénario sera mis de l’avant par les dirigeants de la LNH. Je ne sais pas non plus à quel moment ce scénario verra le jour. Une chose est sûre, l’implantation d’un plafond salarial pour les séries éliminatoires bouleversera les choses. L’importance d’avoir un excellent directeur général, d’éviter les mauvais contrats et d’avoir beaucoup de profondeur seront davantage amplifiés. Sans l’ombre d’un doute, je vais suivre l’évolution du projet avec beaucoup d’intérêt. Et vous?
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