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Dossier | Quand les statistiques avancées s’attaquent aussi à l’Europe

Qu’on aime ou pas les statistiques avancées, force est de constater qu’elles ont progressivement gagné en impact dans le hockey nord-américain. L’essor d’internet et la multiplication des blogs, prompts à mettre en avant ce type d’approche, a permis aux partisans de découvrir petit à petit les termes de  »Corsi » ou de  »PDO », souvent avec méfiance, mais aussi avec curiosité.

En parallèle, plusieurs sociétés, comme Sportlogiq ou Stathletes, ont étendu l’influence des analytiques dans les bureaux de LNH, certains jeunes dirigeants, tels que John Chayka ou Kyle Dubas, étant même réputés pour leur philosophie marquée par les stats.

Comme toute tendance ayant gagné les Amériques, on pourrait croire que cet usage des chiffres et des graphes aura vite été dupliqué de l’autre côté de l’Atlantique. Mais au sein des championnats européens, ces concepts sont encore loin d’être pleinement maîtrisés par les décideurs locaux.

Reste que le fossé se comble.

Progressivement, les données publiques sur les ligues du Vieux Continent sont en train de s’enrichir. Au sein des clubs, mais aussi sur la blogosphère, plusieurs acteurs travaillent afin de permettre aux analytiques de gagner en notoriété dans leurs pays.

Pour en savoir plus sur cette tendance, toutsurlehockey.com s’est ainsi entretenu avec deux interlocuteurs européens, des témoins placés aux premières loges pour évaluer l’implantation des stats avancées, voué à modifier les méthodes de travail et d’analyse des équipes locales.

Un manque de données publiques en passe d’être comblé?

Abonné fidèle d’un club de LNA suisse depuis 10 ans, Paul Yerly est un partisan comme les autres. Un peu plus curieux, du moins. Créateur du blog  »National League Stats », il consacre désormais une bonne partie de son temps libre à l’élaboration de statistiques avancées sur le championnat helvète. Une passion née avant tout d’une vraie envie d’analyser proprement ce jeu rapide qu’est le hockey:

« J’ai toujours aimé comprendre le hockey. Quand on regarde un match, que ce soit sur place ou à la télévision, on ne peut pas tout voir. Les statistiques nous aident à comprendre le jeu » nous a-t-il expliqué. « La plupart des gens utilisent le même genre de stats. Le nombre de buts, de mentions d’assistances, de points, l’efficacité des tirs (s%), le pourcentage d’arrêts pour les gardiens, l’efficacité en situations spéciales pour les équipes… Cependant, quand on s’y intéresse de plus près et qu’on regarde ce que veulent dire ces statistiques et quels en sont les facteurs, on se rend compte qu’elles sont très basiques et ne prennent pas en compte une quantité d’éléments qui peuvent arriver durant un match. »

En utilisant les données disponibles sur le site officiel de la Ligue Nationale A, Yerly s’est ainsi lancé dans la création de plusieurs outils visuels affichant, entre autres, le Corsi de chaque équipe, son PDO ou encore son pourcentage de buts pour (GF%). Les statistiques individuelles, plus difficiles à traquer, sont elles travaillées en mettant en avant, par exemple, la contribution à 5-contre-5, par tranches de 60 minutes.

Auteur occasionnel pour le fameux blog Swisshabs.ch, bien connu des utilisateurs francophones de Twitter, Yerly vise aussi à populariser ces méthodes, encore méconnues par de nombreux partisans. Il faut dire que les actions de la LNA, qui ne partage que depuis peu certaines stats élémentaires, ne facilitent pas vraiment l’essor des chiffres dans le hockey suisse:

«Ici, les clubs collectent beaucoup de statistiques mais ne les rendent pas disponibles. Ce n’est qu’il y a deux ans que la Ligue s’est rendue compte du retard qu’elle avait et a décidé de rendre public, via son site, de nouvelles statistiques » explique Yerly. « Cela ne fait ainsi que depuis la saison dernière que les fans ont accès aux statistiques sur les mises au jeu des joueurs et des équipes, ainsi que le temps de glace des joueurs dans chaque situation. Ce contexte limite donc les statistiques que je peux « créer ». »

Plus à l’Est du continent, du côté de la République Tchèque, l’expérience est quelque peu différente pour Jan Morkes. Créateur du site TheHockeyNinja.com, et consultant auprès de la direction du Bílí Tygři Liberec, cet autre amateur de chiffres a pu constater que les analytiques ont fini par gagner du terrain sur ses terres. Les instances elles-même se sont par exemple emparées du sujet, le championnat local publiant maintenant ses propres stats avancées sur son site internet:

« Ça s’améliore. Il y a deux ans, on célébrait lorsqu’un descripteur se contentait de mentionner les données d’un de nos projets pour la couverture du Championnat du monde. Aujourd’hui, l’Extraliga tchèque diffuse elle-même des chiffres pour le Corsi ou les chances de marquer sur son site » nous indique-t-il. « Un nombre grandissant de partisans voit ces données au quotidien. Mais à l’arrivée, ce sont les journalistes et les descripteurs qui font la différence, en utilisant ou non ces chiffres à l’antenne. »

D’après Morkes, l’arrivée des analytiques en Europe génère ainsi le même type de débats que ceux ayant secoué la LNH quelques années plus tôt, lorsque la « vieille école » du hockey s’est retrouvée en conflit avec les « nerds » fanas de mathématiques. Mais si la progression de ces idées est bien visible, une certaine indifférence règne sur une échelle plus large.

Un contexte dans lequel les médias jouent forcément un rôle important, Yerly nous avouant par exemple qu’en Suisse, de nombreux rédacteurs sportifs ignorent encore beaucoup de choses sur les statistiques avancées.

Reste que la curiosité est là, notamment chez la nouvelle garde:

« J’ai déjà été contacté par des journalistes pour avoir des renseignements à ce sujet quand ils écrivaient un article » nous explique notre interlocuteur helvète. « Mais ils ne peuvent pas non plus faire trop compliqué. Leurs articles doivent être accessibles pour être lus. »

Faisant fi de ce retard, tangible aussi bien dans les médias que chez certaines instances (la FIHG ne produit pas, par exemple, de stats de possession pour les Championnats du monde ou le CMJ), de nombreux clubs européens en viennent ainsi à enrôler leurs propres analystes pour s’offrir une nouvelle perspective sur le jeu:

« Je dirais que la Suède, la Finlande et la République Tchèque sont les mieux armés en Europe » indique Morkes. « Ces trois ligues traquent leurs statistiques avancées, désormais (même si elles ne sont pas publiques en SHL). Il y a plusieurs équipes en SHL et en Extraliga qui ont leurs propres analystes. Je ne sais pas trop pour la Finlande, mais je sais qu’il y a une équipe de LNA, en Suisse, qui a quelqu’un. »

De son côté, Yerly peut lui aussi confirmer que certaines organisations locales semblent avoir franchi le pas :

« Une personne bien placée m’a indiqué qu’ils (les clubs, nldr) collectaient beaucoup plus de données qu’il y en a de disponibles sur le site de la ligue » lance-t-il. « Je sais que Davos a un un analyste qui travaille pour eux. Je suppose que les autres grands clubs de Suisse (Berne, Zurich, Lugano, Zoug) doivent également en avoir un. »

Néanmoins, Morkes estime que l’essentiel ne réside pas forcément dans le nombre de jobs décrochés par des adeptes des stats. De fait, c’est avant tout l’importance du rôle qu’on leur attribue en interne qui pèse dans le développement des analytiques:

« Au final, ce qui compte ce n’est pas le volume de stats collectées, ou le nombre de postes confiés à des spécialistes du sujet, mais c’est ce qu’on en fait et comment les chiffres influencent les décisions des dirigeants » assure-t-il. « Et ça, c’est quelque chose qui reste caché aux yeux du public. »

Travailler avec un club

Amené à collaborer quotidiennement avec la direction du Bílí Tygři, Morkes est lui-même un pionnier du mouvement analytique à l’échelle du hockey européen. Pourtant, au lancement de son site internet, il ne s’attendait à travailler un jour avec un club professionnel. S’intéressant d’abord au Championnat mondial junior, il s’était donné pour objectif de populariser le concept des stats avancées et, si possible, d’attirer l’attention des médias locaux. Mais finalement, c’est l’encadrement technique de Liberec qui s’est manifesté, en finissant par l’embaucher à titre de consultant pour la campagne 2015/16.

« Le reste appartient à l’histoire » lance-t-il. « Cette année-là, l’équipe a remporté son tout premier titre de champion de République Tchèque. J’ai décroché un contrat pour plusieurs saisons et j’occupe depuis une position officielle au sein de l’organigramme du club. »

Cette percée relativement récente représente, selon Morkes, une première dans le hockey tchèque. Porté par son succès, le Bílí Tygři est vite devenu un modèle, attirant ainsi l’attention de l’Extraliga sur l’utilisation des statistiques. Aujourd’hui, l’analyste estime à quatre ou cinq le nombres de formations locales ayant requis les services d’un consultant en analytiques.

Face à cette nouvelle concurrence, Morkes doit donc redoubler d’effort pour essayer de maintenir son avantage compétitif. Stratégiquement, il a choisi de se focaliser sur le développement d’idées visant d’abord à améliorer les performances de son club:

« Nous essayons de trouver de nouveaux concepts et de nouvelles données qui peuvent servir à notre équipe première, mais aussi à d’autres niveaux de l’organisation, notamment au développement des joueurs » indique-t-il. « Nous concentrons notre énergie sur notre équipe, en travaillant à long terme sur des données qui concernent nos joueurs, tout en rassemblant tout ce que nous pouvons sur les adversaires. »

Si la densité du calendrier ne permet pas à son équipe d’accomplir un travail de longue haleine sur l’opposition, Morkes compte néanmoins sur de solides compte-rendus pouvant être utilisés au cours des Séries Éliminatoires.

À l’instar de ce que l’ont peut voir en Amérique du Nord, où les analytiques commencent à influencer certains ajustements opérés par les entraîneurs-chefs, Morkes vise aussi à assister au mieux l’équipe technique de Liberec. Ce faisant, l’échange entre les deux secteurs permet ainsi à l’encadrement du club d’avancer dans sa réflexion tactique:

« Ce que j’essaie de faire, c’est de fournir les meilleures informations possibles aux coachs. Ça peut aller des dernières analyses en vogue dans la LNH, à des variantes tactiques entre les différentes ligues, ou bien à des analyses en profondeur du rendement de nos joueurs » explique-t-il. « Tout cela peut aussi bien conforter leur opinion que leur donner davantage matière à réflexion. Mais ça fonctionne dans les deux sens. Nous apprenons beaucoup à leur contact, et puisqu’il y a moins de personnes dans les bureaux d’une équipe tchèque que dans ceux d’une équipe de LNH, notre relation est plus naturelle, avec un accès direct. Travailler avec un coach ouvert d’esprit comme Filip Pešán (l’entraîneur du Bílí Tygři, ndlr), c’est vraiment utile et inspirant. »

Quel futur pour les analytiques?

Si la belle histoire de Liberec incite donc à l’optimisme, cela n’empêche toutefois pas de s’interroger sur les limites de l’approche statistique. Malgré leur précision et leur influence grandissante, les analytiques peuvent-elles se révéler infaillibles? La réponse est bien évidemment non, et pour Paul Yerly, il est impératif que les spécialistes du secteur gardent cet état de fait à l’esprit :

« Je constate que la plupart des économétriciens qui développent des statistiques avancées semblent comme « s’enfermer » dans leur monde » observe le blogueur. « Il est impossible de tenir compte de tous les facteurs et il est important de ne pas ériger les statistiques en vérité. Elles doivent rester là comme support, comme aide, car le hockey est un sport beaucoup plus complexe qu’on ne pourrait le penser. Personnellement, je trouverais absurde de nommer un directeur sportif qui maîtrise les analytiques mais qui ne connaît pas le hockey. Je ne crois pas que des clubs de LNH ont fait cette erreur. De toute manière il y a tellement de personnel qu’ils sont bien entourés, ce qui ne serait pas forcément le cas en Europe. »

Dans un championnat suisse où l’ensemble des DG sont encore d’anciens joueurs de haut-niveau, la transition culturelle sera forcément lente, et méritera donc d’être servie par une approche nuancée.

Mais en parallèle, le besoin de données et de renseignements sur le hockey européen peut également émaner de l’autre côté du globe. Ces dernières années, la société  »Bench Metrics » s’est par exemple fait un nom en collectant des stats avancées sur un nombre important d’espoirs évoluant, entre autres, sur le Vieux Continent.

Chez les franchises de LNH qui misent sur le repêchage pour rebondir sportivement, la nécessité d’affiner les techniques de dépistage afin d’obtenir un avantage sur la concurrence n’est pas à négliger. De quoi élargir le marché des stats en Europe?

« Certainement » assure Morkes. « On peut s’appuyer sur les rapports de dépistage, mais une bonne implantation des stats avancées ouvrira la porte à de nouveaux moyens de comparaisons entre les espoirs et leurs pairs. Il y a beaucoup de  »micro-stats » (disques touchés, entrées en zone, sorties de zone, assistances sur tir, etc…) qui permettent d’évaluer les joueurs de manière bien plus précise. On peut par exemple comparer le rôle endossé par un jeune défenseur de 17 ans à ce que faisait Erik Karlsson au même âge. Le repêchage est une part très importante de la construction d’une bonne franchise de LNH, donc ce sont des informations très utiles. »

Culturellement, l’essor relativement récents des analytiques dans le soccer, sport numéro 1 en Europe, pourrait par ailleurs contribuer à attirer l’attention des partisans sur le sujet. Certains principes, comme celui des Buts attendus (Expected Goals), s’appliquent notamment aux deux disciplines.

Enfin, l’apparition de certains objets technologiques devrait jouer un rôle dans l’évolution du travail des statisticiens locaux, en rendant leurs contributions plus précises et donc, plus significatives:

« Je crois que l’apparition des premiers vêtements connectés va aider » note par exemple Yerly.

Morkes, lui, pourrait probablement se satisfaire de certaines avancées dans la réalisation des matchs diffusés à la télévision tchèque, via lesquels il collecte ses données :

« Dans un monde idéal, on aurait accès à tous les angles en haute-définition. Mais dans la réalité, on est dépendant d’une qualité proche de la vidéo SD, et on doit prier pour que le cadreur ne s’endorme pas et ne passe pas son temps à suivre la rondelle » déplore-t-il. « Ça peut être frustrant, on se retrouve obliger de rembobiner plein de fois sur un jeu pour savoir où le tir est parti et s’il a été bloqué. Mais en fin de compte, on y arrive. »

Avec de nouvelles pistes à explorer et de nombreux clubs à conquérir, les partisans européens des stats avancées ont donc encore du chemin à faire pour imposer leurs idées.

Mais déjà, par l’entremise de plusieurs acteurs, cette approche auparavant très nord-américaine commence à s’implanter aussi à l’échelle des championnats du Vieux Continent. De quoi ravir les précurseurs des analytiques, dont le travail aura bien influencé leurs homologues outre-Atlantique.

Note : Un grand merci à Paul Yerly et Jan Morkes (Děkuji vám, Jan), pour leur gentillesse et leur disponibilité. Pour rappel, vous pouvez retrouver le travail de Paul sur son blog « National League Stats », sur Swisshabs ainsi que sur son compte Twitter. Jan (@The_HockeyNinja) publie une part de son travail public en anglais, sur son site « The Hockey Ninja ».

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Commentaires

  1. jimmy.ferron

    Sa donne une très bonne idée a certain niveau sur les joueurs, j'aime bien regarder le % des mises en jeux et le temps de jeux des joueurs.

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