Coupe du Monde : John Tortorella, entraîneur tourmenté
Il n\’était même pas commencé, ce tournoi, que l\’intransigeant coach américain se faisait déjà remarquer… Le 7 septembre dernier, John Tortorella prenait part à la conversation nationale entourant la polémique autour du cas Colin Kaepernick, stipulant que tout protestataire faisant de l\’esclandre sous ses ordres au moment de l\’hymne observerait la rencontre depuis le banc. Ainsi va le petit monde de l\’entraîneur-chef des Blue Jackets, qui a fait d\’une approche psychologique militaire sa marque de fabrique. Ses joueurs sont de fait les premiers à écoper en cas d\’échec, comme Max Pacioretty en a fait l\’amère expérience au cours des rencontres préparatoires de la Coupe du Monde. « Niché », comme le note Martin Leclerc de ici.radio-canada.ca, l\’avant des Canadiens de Montréal s\’est placé dans le collimateur de Tortorella dès le premier match, ne disputant par la suite que 10 minutes et 5 secondes lors de la seconde partie de pré-tournoi.
Il s\’agit là d\’une petite habitude de l\’entraîneur-chef d\’Équipe États-Unis, un tacticien non seulement apôtre d\’un jeu physique et hargneux censé déstabiliser l\’ennemi juré qu\’est le Canada, mais également déterminé à placer le collectif et l\’effort au centre de son approche de la vie de groupe. En clair, si Pacioretty ne lui en donne pas assez, John Tortorella l\’interprétera comme un manque de respect au reste de ses équipiers. Il s\’orientera alors vers la voie de la sanction pour rappeler à l\’ordre son attaquant, et souhaitera lui remettre les idées en place afin qu\’il retrouve son vrai niveau d\’implication. Seulement samedi soir, alors que les USA faisaient leur entrée par la grande porte dans la compétition face à l\’équipe européenne, Pacioretty est demeuré muet. Comme l\’ensemble de l\’attaque américaine. Comme toute une équipe dépassée dans la majorité des secteurs de jeu.
Or pour de nombreux observateurs, l\’approche et les choix de John Tortorella ne seraient pas étrangers à cette débâcle inaugurale. À l\’instar de ce que souligne Amalie Benjamin sur wch2016.com, la décision de laisser de côté le prolifique buteur Kyle Palmieri au profit d\’un Justin Abdelkader plus hargneux n\’a pas nécessairement été profitable à l\’offensive américaine. De même, se passer d\’un arrière du gabarit et de la puissance de Dustin Byfuglien apparaît là-encore comme relativement étrange. D\’autant qu\’en plus d\’apporter la robustesse tant souhaitée à la ligne bleue, le joueur des Jets est également une vraie menace en supériorité numérique. Une mise en place sibylline justifiée par une communication tout aussi opaque, Tortorella s\’expliquant de l\’absence de Byfuglien via ces mots repris par Benjamin :
« Nous avons pris cette décision pour ce match, c\’était notre meilleur alignement. Ce n\’est pas lié à un mauvais a priori le concernant (Byfuglien), mais nous avons décidé de partir avec cet alignement ce soir. »
Une chose est sûre, l\’absence du gros défenseur n\’a certainement pas été étrangère à l\’incroyable manque d\’intensité présenté samedi face à Équipe Europe. Une défaillance remarquée jusque dans les rangs adverses, avec par exemple cette simple déclaration de Roman Josi là encore reprise par Amalie Benjamin et wch2016.com :
« Il y a bien eu quelques charges mais non, ce n\’était pas la partie la plus physique qui soit »
Et très clairement, ce genre d\’appréciation est profondément problématique pour « Team USA ». Laissant de côté des éléments tels que Tyler Johnson, Justin Faulk, Kyle Okposo ou Kevin Shattenkirk, Dean Lombardi, le DG de la formation américaine, a mis l\’accent sur le contrepoint physique nécessaire à la composition de son groupe de joueurs, notamment pour tenir tête aux ogres canadiens. Dans ce contexte, confier les clés de l\’équipe à John Tortorella a d\’autant plus de sens que le coach de Columbus a lui-même largement souligné l\’importance de développer ce style tout en robustesse face à ses adversaires les plus redoutables. Ryan Lambert, de Yahoo Sports, a ainsi relevé les propos de l\’entraîneur-chef quelques semaines plus tôt, alors que celui-ci revenait sur les conséquences de l\’indisponibilité de Ryan Callahan pour le tournoi. John Tortorella illustrait sa déception face à ce forfait d\’un joueur sur lequel il comptait beaucoup, notamment pour faire face au trio de Sidney Crosby :
« J\’étais réellement impatient d\’avoir Cally sur cette ligne… » statuait-il, développant par la suite «Quand le Canada décide de monter d\’un cran en terme de jeu physique, nous devrions avoir des joueurs capables de leur répondre. Je crois que ce fut un de nos problèmes récurrents durant les différents tournois internationaux. Lorsque l\’on s\’éloigne un peu de la technique – et que le jeu s\’oriente vers les mises en échecs, la protection du disque, etc. – je souhaite avoir ce genre de joueur sur ce type de ligne. »
Il faut l\’avouer, Tortorella n\’a jamais fait de mystère quant à sa philosophie, laquelle tend à s\’épanouir au sein d\’un groupe assemblé afin d\’obtenir le collectif le plus cohérent possible, quitte à laisser quelques individualités de côté. Le problème, c\’est que l\’apparent désarroi qui caractérise l\’entame de tournoi réalisée par les américains maintien le doute, à la fois sur la légitimité de cette approche, mais aussi concernant la capacité de « Torts » à mobiliser les joueurs à ses côtés. Son traitement âpre de la vie du vestiaire est ainsi ramené au centre de l\’attention, car il vient s\’ajouter à des choix sportifs qui divisent, dont l\’efficacité semble conditionnée par une vraie mentalité guerrière qui manque, actuellement, à la sélection américaine. Pour un technicien qui se retrouve à clouer un joueur sur le banc uniquement parce que celui-ci « ne lui en donne pas assez », un déficit d\’implication étendu à l\’ensemble de son collectif est un vrai signal d\’alarme.
Demain, les États-Unis feront face à Équipe Canada dans un véritable match couperet. Opposés à une formation qui a largement surpassé une équipe tchèque diminuée, les hommes de John Tortorella parviendront-ils à exécuter sereinement leur plan de jeu consistant à prendre l\’ascendant sur le plan physique ?
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