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Dossier | Décryptage approfondi de la révolution statistique chez les Hurricanes de la Caroline

Lorsqu’on parle de statistiques avancées dans la Ligue Nationale, la formation basée à Raleigh n’est peut-être pas le premier nom qui vient à l’esprit. Aujourd’hui, les Coyotes de l’Arizona sont une figure de proue dans ce domaine, avec à leur tête un jeune DG de 27 ans, John Chayka, cofondateur de la firme Stathletes. Les Panthers de la Floride, menés par leur entraîneur Tom Rowe, ont également attiré l’attention du public il y a quelques semaines, après le congédiement de Gérard Gallant, accusé d’être trop frileux dans sa vision des analytiques. Les Maple Leafs de Toronto se font aussi remarquer, avec la présence de Kyle Dubas au sein de la direction torontoise, lui qui supervise entre autres le club-école des Marlies.

Mais à côté de ces modèles parfois décriés, les locataires de la PNC Arena ne sont pas en reste, et s’impliquent avec passion dans ce secteur, depuis trois années maintenant. À partir de 2014, les Canes ont en effet opéré une vraie révolution interne dans l’approche des statistiques, qui s’est organisée autour de l’arrivée d’un homme au profil atypique, ancien blogueur passé par deux des plus prestigieuses universités américaines. Cet homme, c’est Eric Tulsky.

Une légende dans la communauté des analytiques

Pour ceux parmi vous qui découvrent le personnage, nous allons faire les présentations, bien aidés par cet excellent papier de Ben Pope, du News & Observer. Tulsky, 41 ans, est américain et originaire de Philadelphie. Amoureux de hockey depuis son enfance, il possède derrière lui un bagage impressionnant, quoi qu’assez éloigné du monde du sport. Formé à Harvard, il y obtient deux diplômes dans les domaines de la chimie et de la physique. Il rejoint ensuite Berkeley, travaillant dans le milieu des nanotechnologies tout en commençant parallèlement à rédiger des articles sur la LNH.

Aussi doué que passionné, il finit par débarquer sur un site du portail SB Nation dédié aux Flyers de Philadelphie, « Broad Street Hockey », sur lequel il va sévir de 2010 à 2014. Débute alors une série de papiers dont l’impact va faire de Tulsky une véritable référence dans la communauté des statistiques avancées. Son travail ou plutôt, ses recherches, influencent bon nombre d’auteurs et participent à donner une nouvelle légitimité à ce domaine parfois raillé. De fait, ses contributions sont si professionnelles et novatrices que notre homme en obtient une reconnaissance croissante. En 2013, il présente son rapport sur les entrées en zone à la « Sloan Sports Analytics Conference » tenue par le prestigieux MIT. Mais l’ascension de Tulsky ne s’arrête pas là, alors qu’en 2014, il est contacté par les Hurricanes de la Caroline, qui lui proposent un travail à temps partiel avec l’organisation, à titre de consultant. L’expérience fonctionne et la direction finit par lui offrir un poste à temps plein avec l’équipe, comme analyste. Tulsky accepte et quitte donc la Californie pour rejoindre Raleigh à l’été 2015. Il occupe toujours son poste actuellement, pour la deuxième année consécutive.

Voilà pour la partie biographie, mais cet aperçu reste loin d’être suffisant pour comprendre la « Doctrine Tulsky ». Et là encore, l’excellent papier du News & Observer signé Ben Pope va nous être utile. Tout d’abord, il faut bien comprendre que l’esprit d’Eric Tulsky est avant tout focalisé sur la notion de recherche et de découverte. Son allure de « geek » dégingandé évoque le scientifique qu’il est, à part dans le monde du hockey, mais résolument passionné et déterminé à dépoussiérer l’approche statistique de ce sport :

« Évoluer dans un champ qui est dur à analyser, ça signifie qu’il y a beaucoup de choses qui restent à explorer » confiait-il quelques mois plutôt à Pope et au N&O, « Il était clair que ce domaine était en train d’évoluer lorsque je suis arrivé, mais il restait encore de nombreux fruits à cueillir, en quelque sorte. Il y avait pas mal de choses que j’observais en finissant par me demander,  »mais pourquoi personne n’a fait ça avant ? » »

Ces choses, justement, se révèlent très diverses. Le News & Observer fait ainsi part de son intérêt pour plusieurs sujets, tous importants dans la construction d’une équipe de LNH. L’une des publications les plus polarisantes de Tulsky touche notamment le pic de production offensive des joueurs à travers leur carrière. En effet, notre homme s’était illustré en collectant des données lui permettant de démontrer que les hockeyeurs atteignent leur prime sur ce plan à l’âge de 24 ans et non à 29 ans, à l’inverse de ce qu’un rapport d’une équipe de la Ligue Nationale avait assuré avant lui.

Comme Ben Pope le relève intelligemment, cette assertion se répercute déjà au sein du groupe des Canes : cette saison la Caroline compte cinq défenseurs âgés de 24 ans ou moins, tandis que Jeff Skinner, le meilleur pointeur de l’équipe, a également 24 printemps derrière lui. Autre point important, celui de l’analyse des performances des gardiens, des aléas de celles-ci et de leur impact au niveau des contrats. D’après Pope, son travail est à l’origine de la prolongation accordée à Cam Ward durant la saison morte. Un mouvement polémique, payant sur la première partie de cette campagne, mais plus nuancé désormais, alors que Ward présente un taux d’arrêts de 90,6% couplé à une moyenne de buts alloués de 2,61. Des chiffres assez bas, descendus en flèche suite aux derniers résultats des Canes, avec cinq défaites consécutives sur des scores infâmes : 4-1 contre Columbus, 7-1 contre Pittsburgh, une autre déroute 3-2 contre les Blue Jackets, 6-1 contre Washington et, plus récemment, 3-0 contre Los Angeles…

La question des entrées en zone

Pour comprendre les prises de position d’Eric Tulsky, il faut également s’intéresser de près à son travail personnel, notamment sur les entrées en zone. TSLH s’est donc plongé dans sa fameuse étude publiée en marge de la« Sloan Sports Analytics Conference » du MIT, que vous pouvez retrouver ici sous format PDF. Après l’avoir parcouru, il est plus facile de comprendre la méthode, le raisonnement et les conclusions de Tulsky sur le sujet. Tout d’abord, l’ancien blogueur s’applique à différencier les deux types d’entrés en territoire ennemi : celles, contrôlées, faites par l’entremise d’un « carry-in » et celle connue sous le nom de « dump-in », où l’équipe perd la possession de la rondelle en l’envoyant au fond de la zone, générant traditionnellement une phase de « dump and chase ». Pour évaluer les apports de chacune de ces méthodes, il fallait donc collecter à l’œil nu des données sur près de 300 rencontres de LNH. Comme Tulsky le confesse, ce travail implique une part de subjectivité, avec notamment la différence parfois difficile à percevoir entre une passe avec possession et un « dump-in ». Quoi qu’il en soit, il précise que dans plus de 85% des cas, les observateurs étaient en accord sur la nature du jeu effectué.

En mettant de côté les « dump-ins » réalisés dans l’optique d’un changement de ligne, l’analyste des Hurricanes a donc identifié plusieurs tendances qui confirment l’importance des structures de jeu mises en place dans la zone neutre. Selon ses données, il existe une corrélation très forte entre les fameuses métriques de possession et le contrôle de la rondelle dans cette portion de la surface glacée. Il loue particulièrement les « carry-ins » qui, s’ils sont maîtrisés par les joueurs, offrent de meilleures perspectives au niveau des chances de marquer. Une affirmation soutenue par un exemple relativement criant, opposant deux équipes étudiées sur l’intégralité de leur saison 2011/12 pour les besoins de la présentation : les Flyers et le Wild. D’un côté, Philadelphie possède le meilleur taux de performance dans la zone neutre, à 51,1%. De l’autre, Minnesota pointe bien plus bas, à 45,7%. Qu’est-ce qui différencie donc ces deux équipes ? Visiblement, il s’agit du style développé sur les entrées en territoire offensif, largement mieux effectuées du côté de Philly. Un résultat obtenu grâce à un bon travail dans la possession du disque et la construction des jeux.

L’étude de Tuslky est vaste et très documentée. Elle s’étend aussi à l’évaluation du maniement de la rondelle chez les joueurs, ainsi qu’à l’impact de ces jeux en territoire neutre sur l’efficacité en zone défensive. Mais concrètement, elle repose sur cette idée que la mise en place d’un « carry-in », puisqu’elle implique un contrôle du disque constant de la part des patineurs, est profitable en matière de possession et de performances en attaque. Et, logiquement, c’est depuis la zone neutre que cette domination se forge à 5-contre-5.

Forces et faiblesses de cette vision

Alors, cette approche est-elle payante à l’échelle des Hurricanes ? Tout d’abord, il faut noter que les préceptes d’Eric Tulsky ne se répercutent pas uniquement sur les décisions de Ron Francis, le DG de l’organisation. Au-delà des signatures et de la composition de l’alignement, le point de vue de l’analyste influence également le style développé par l’équipe sur la glace. Dirigée par le coach Bill Peters, celle-ci pratique un hockey bondissant, qui fait bien écho aux recherches de Tulsky.

Vifs, rapides et techniques, ses Canes sont impliqués en territoire neutre et font le maximum pour se projeter proprement chez l’adversaire. Exemple ici, avec cette rencontre qui date un peu (octobre dernier) face aux Red Wings, mais de laquelle on peut cependant extraire deux exemples assez parlants. Le premier intervient dans le deuxième tiers, la Caroline est alors menée 3-0 et suite à une mise au jeu en zone offensive, les joueurs de Detroit parviennent à ressortir le disque de leur camp. Néanmoins, celui-ci est de suite repris par un joueur des Canes, qui le transmet au défenseur Ron Hainsey (#65). L’arrière conserve la rondelle pendant un bref instant, puis relève la tête et délivre une longue passe qui file jusqu’à la ligne bleue. Phil Di Giuseppe (#34) la récupère et s’offre dans la foulée une chance de marquer. Il s’agit là d’un jeu qui correspond bien à la « Doctrine Tulsky », avec d’une part une pression savamment exercée en zone neutre et de l’autre, une entrée propre, où la passe avec possession se substitue au « dump-in ».

On file ensuite dans le troisième tiers, où la Caroline tire toujours de l’arrière, 4-2, et tente de remonter rapidement depuis son camp. C’est Justin Faulk (#27), le défenseur étoile, qui est à la manœuvre. Recevant dans la zone neutre une bonne transmission de Viktor Stalberg (#25), il temporise, puis feinte habilement les deux Red Wings qui lui barrent la route, pour effectuer un « carry-in » dans la foulée. Une mauvaise remise le long des bandes vient avorter l’action, mais là encore, on retrouve cette volonté de mixer technique et contrôle dans la construction des attaques, au détriment d’un échec avant trop prononcé.

Couplée à la vitesse de patinage de certains éléments, cette philosophie s’avère aussi payante sur les phases de transition. Illustration ici avec un extrait de match beaucoup plus récent, qui remonte à la dernière victoire enregistrée par les Canes, le 14 janvier dernier, contre les Islanders (7-4). De nouveau, ceux-ci mettent une belle pression dans la zone neutre pour reprendre la possession du disque, avec un gros travail réalisé par Brock McGinn (#23). Il délivre ainsi la rondelle à Jordan Staal (#11), qui fait le choix de la porter dans le territoire adverse, le long de la bande, avant de retrouver McGinn. Celui-ci s’approche de la cage, puis réalise une passe du revers qui traverse l’enclave en direction d’Elias Lindholm (#16), lequel remporte son face à face avec Thomas Greiss. Aussi rapides que coordonnés, les Hurricanes viennent d’égaliser, 3-3.

Cette patte Tulsky dans les systèmes de Peters est également tangible au niveau des chiffres, avec quelques statistiques qui en confirment l’impact. Au 3 décembre dernier, la firme spécialisée SPORTLOGiQ publiait ainsi, via son compte twitter, deux données intéressantes, qui cadrent parfaitement avec tout ce que nous avons vu jusqu’ici :

On constate ainsi que non seulement les Hurricanes sont la troisième équipe de LNH avec le plus faible taux de « dump-in » (50,5%), mais qu’ils sont également la première formation à travers la ligue pour les jeux défensifs réussis dans la zone neutre, avec une moyenne de 20,7 par match. En clair, tout correspond avec les indications de l’étude que nous avons analysée auparavant, de l’accent mis sur les « carry-ins » au besoin fondamental de remporter la bataille du territoire neutre. Ce n’est donc pas une surprise de voir à quel point cette mise en place tactique génère de nombreuses chances de marquer. Pour ce qui est du Corsi d’équipe, la Caroline pointe au 5ème rang du circuit Bettman, avec un solide 51,68%. Et même dans ses plus lourdes défaites, cet alignement est capable de surpasser son adversaire au chapitre des tirs, avec notamment un petit avantage de 26 à 25 lors de la défaite 6-1 du 23 janvier dernier, face aux Capitals de Washington.

En revanche, il est certain que si cette équipe est en mesure de se créer de bonnes opportunités à forces égales, ses déboires récents montrent qu’il y a encore des choses à améliorer. On le comprend notamment en jetant un œil à l’indice Fenwick, une statistique qui fonctionne sur la même base que le Corsi (pour/contre tirs hors cible + tirs cadrés + tirs bloqués, à 5-contre-5) mais qui ne comptabilise pas les lancers bloqués. Considéré comme un bon indicateur pour les performances collectives, il est plus nuancé que le Corsi en ce qui concerne les Canes. Avec leur 50,70%, ils se placent au 13ème rang du circuit Bettman. Un résultat moyen, qui les laisse loin de l’élite de la LNH. En prenant en compte que la différence entre ces deux stats repose sur la non-comptabilisation des tirs bloqués, on peut donc penser que ceux-ci prennent une part importante dans le bon Corsi que possèdent actuellement les Hurricanes.

Cette affirmation nous amène alors sur un nouveau terrain, celui de la qualité des tirs. Logique, puisque si une grande part des lancers pris par la Caroline sont repoussés par la défense, ceux-ci représentent donc une menace moindre pour le gardien adverse. Pour avoir une idée précise quant à la dangerosité de ces tentatives, jetons un coup d’œil au pourcentage aux tirs réalisé par les Hurricanes. On constate que pour l’heure, ils pointent assez loin de l’élite, avec un 7,42% bon pour le 17ème rang de la LNH. Un problème à la finition, qu’il est logique de détecter dans les performances d’un alignement capable de prendre plus de lancers que son adversaire sur un match qu’il va finir par perdre 6-1. C’est donc sur la dangerosité de ces tirs qu’il faudra travailler, dans l’optique de convertir au mieux les opportunités créées en amont via l’activité générée dans la zone neutre.

Néanmoins, notons que pour l’instant, il semble que la chance ne sourit pas vraiment aux Canes, qui possèdent le 28ème PDO (taux de réussite aux lancers + pourcentage d’arrêts du gardien) de la Ligue, à 97,77%. Une statistique porteuse d’espoir, puisqu’il est reconnu que cet indice, s’il est bas, présage d’une remontée possible et donc, d’une future amélioration au chapitre des lancers. À voir si cela se confirmera après la pause du match des étoiles.

Le dernier point à soulever reste celui des risques engendrés par le style de jeu des Hurricanes. Si Tulsky a insisté dans son étude pour souligner que les passes et les « carry-ins » ne sont pas moins sécurisants que les « dump-ins », reste que ces enchaînements exposent tout de même les joueurs à des revirements. Exemple ici, de nouveau avec le match contre les Red Wings, où une entrée en zone maîtrisée de Justin Faulk (#27) et Sebastian Aho (#20) va se conclure par une perte du disque, qui génère dans la foulée une situation de 3-contre-1 pour Detroit. C’est cette fébrilité, doublée d’un manque parfois cruel d’efficacité, qui place aujourd’hui les locataires de la PNC Arena dans une situation complexe (49 points en 48 matchs, 13ème à l’Est).

Au final, il est bon de rappeler que si les Hurricanes de la Caroline font aujourd’hui la une suite aux rumeurs de vente lancées hier par le propriétaire de la franchise, il serait fâcheux d’oublier que cette organisation reste avant tout une structure sportive professionnelle, avec son fonctionnement propre. Que l’engouement populaire soit présent ou pas, l’état-major des Canes n’en reste pas moins actif, abordant le hockey avec une philosophie particulière. Inspirée des préceptes d’Eric Tulsky, cette approche est probablement à l’origine des espoirs qui entourent à présent l’équipe dirigée par Ron Francis. Bien que des doutes entourent la situation sportive de la Caroline, celle-ci a au moins le mérite de se développer par l’entremise d’un modèle novateur. Reste, désormais, à prouver son efficacité sur le long terme.

Sources Statistiques: corsica.hockey, NHL.com, @SPORTLOGiQ

[STATS_EQUIPE]CAR[/STATS_EQUIPE]

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