Dossier | Y a-t-il un problème avec le développement des jeunes joueurs à Montréal?
À l’approche du prochain repêchage, les partisans du Canadien attendent avec impatience de savoir quels seront les nouveaux espoirs qui rejoindront l’organisation montréalaise. Ces dernières saisons, l’intégration des jeunes éléments sélectionnés par le CH lors des divers encans amateurs s’est toutefois avérée assez laborieuse, entraînant plusieurs questionnements sur le développement des joueurs au sein du système des Habs…
Des résultats suspects en LAH
À l’issue d’un beau parcours en Séries ayant porté Nashville jusqu’en finale de la Coupe Stanley, le DG local David Poile a pris le temps de remercier, au cours d’une conférence de presse, les personnes qui ont contribué, selon lui, à faire émerger l’alignement actuel des Predators. Parmi eux, on retrouve Dean Evason, le coach des Admirals de Milwaukee, club-école de l’équipe. Sous ses ordres, nombreux sont les joueurs qui ont pu se bonifier, jusqu’à prendre part à ce »run » printanier. Poile n’avait d’ailleurs pas manqué de le rappeler quelques jours plus tôt:
« Le chemin pour Nashville passe par Milwaukee » avait-t-il expliqué, dans des propos repris par Jonathan Bernier, du Journal de Montréal. « Même nos joueurs vedettes, que ce soit Josi, Suter et Weber, ont tous passé par Milwaukee. Rinne y a passé trois ans. Si vous leur posez la question, je suis certain qu’ils vous répondront qu’ils ne seraient pas près d’être les joueurs qu’ils sont s’ils n’avaient pas fait ce détour. »
À ces noms reconnus s’ajoutent ceux de Pontus Aberg, Colton Sissons ou encore Frédérick Gaudreau… Autant de joueurs inconnus du grand public, mais qui se sont révélés sous leur meilleur jour durant les Séries.
L’exemple de Nashville et de ses Admirals, qui symbolise le travail de nombreuses autres équipes à travers la Ligue (Pittsburgh le fait aussi très bien), contraste forcément avec les critiques qui se sont abattues sur l’organisation montréalaise et son club-école, les Icecaps de St. John’s. Depuis 2012, le travail de l’entraîneur Sylvain Lefebvre a été systématiquement remis en question, le technicien québécois ayant régulièrement échoué à qualifier sa formation pour les Séries Éliminatoires de la Ligue Américaine.
De fait, en cinq campagnes sur le banc de l’affilié du CH (auparavant, les Bulldogs d’Hamilton), l’entraîneur-chef n’a guidé les siens vers le tournoi printanier qu’à une seule reprise, cette année, ses troupes ayant été sorties en première ronde par le Crunch de Syracuse (3-1). Des résultats peu reluisants, qui questionnent logiquement le travail fourni par Lefebvre sur le banc des Icecaps.
Alors que les Canadiens ont parfois manqué de punch à l’attaque au cours des dernières années, il leur a par exemple été difficile de se tourner vers leur réservoir dans les mineures. Depuis le début de l’ère Lefebvre, St. John’s a presque continuellement terminé parmi les dernières formations de LAH au chapitre des buts marqués. Avec 216 filets inscrits lors de la dernière campagne, c’est d’ailleurs la première fois qu’une des équipes dirigées par l’ancien joueur de l’Avalanche passe le cap des 210 réalisations, se replaçant ainsi au sein du top-15 des offensives de Ligue Américaine.
Ce réveil, boosté par le duo Charles Hudon – Chris Terry, pourrait donc inciter à l’optimisme quant à la valeur intrinsèque de l’alignement actuel des Icecaps, où se trouvent moult espoirs du Tricolore (Hudon, Scherbak, De La Rose, Audette, McCarron, Lernoult…). Avec un effectif peut-être plus compétitif que ceux dont il a hérité auparavant, Lefebvre devrait être en mesure de faire émerger de nouveaux talents, en inscrivant sa formation dans une spirale positive, marquée par davantage de victoires.
Que tout ceci se répercute ou non sur le plan collectif, l’objectif que l’on fixe au coach québécois est d’ailleurs de permettre la montée en puissance de certaines individualités, pour avoir ainsi des éléments capables de s’extirper des mineures et d’aller contribuer en LNH. Mais si l’on est en droit d’espérer que Lefebvre saura bien négocier le développement de ses joueurs l’an prochain, un simple coup d’œil en arrière laisse poindre de gros doutes quant à sa capacité à accomplir cette tâche sans accroc.
Le développement des joueurs en question
Depuis plusieurs années maintenant, le CH peine en effet à assurer la transition de ses espoirs vers un poste durable dans le circuit Bettman. Cette tendance est notamment illustrée par cet excellent article signé Kyle Medeiros, pour le site internet habseyesontheprize.com. L’analyste a ainsi compilé des données remontant jusqu’à 2008, dans l’optique de voir quelles formations de LNH avaient intégré le plus de jeunes joueurs repêchés par leurs soins dans leurs alignements respectifs. D’après ses recherches, qui datent d’avril dernier, seuls 5 joueurs de Montréal correspondant à ce critère ont pris part à un minimum de 70 matchs dans la LNH. Depuis 2008…
Ces quelques éléments (Alex Galchenyuk, Brendan Gallagher, Artturi Lehkonen, Sven Andrighetto et Nathan Beaulieu) ont donc réussi à percer dans un contexte assez particulier. Franchise scrutée de toutes parts, le Tricolore évolue dans un environnement sur-médiatisé, ce qui peut perturber les jeunes hockeyeurs. Toutefois, un nombre aussi faible de joueurs capables de percer au plus haut niveau (le CH est bon dernier selon la métrique de Medeiros) questionne à la fois la qualité du dépistage montréalais (et le travail parfois contesté de Trevor Timmins), mais aussi la faculté du CH à développer correctement ses »prospects ».
Notons d’ailleurs que parmi les cinq joueurs mentionnés plus haut, on retrouve un talent de premier plan (Galchenyuk), dont la transition en pro était assurée, un joueur ayant poursuivi sa progression en Europe, sans passer par la LAH (Lehkonen), ainsi que deux éléments échangés cette année par Marc Bergevin (Andrighetto et Beaulieu) et qui n’ont donc pas donné entière satisfaction à leur état-major. Passé entre les mains de Sylvain Lefebvre durant la saison 2012/13, Brendan Gallagher a été le seul »pick » lointain à s’imposer durablement chez les Habs après un (court) passage en Ligue Américaine.
Évidemment, ce faible taux de réussite semble indiquer que les choix de Timmins n’ont peut-être pas été très judicieux, le dirigeant ayant toutefois une tâche compliquée, lui qui hérite souvent de sélections tardives. Mais à l’arrivée, il faut bien avouer que les résultats décevants recueillis par les Icecaps, couplés à la stagnation de nombreux espoirs (Fucale, De La Rose, McCarron…), semblent indiquer que Lefebvre porte lui aussi sa part de responsabilité.
Quelle approche à l’étage supérieur?
Placer le blâme sur le seul Sylvain Lefebvre serait néanmoins assez dérisoire. D’un point de vue plus général, c’est toute l’approche du développement qui semble à revoir chez le CH. Marc Bergevin, le premier, se plaît à remplir son alignement avec des vétérans expérimentés et robustes. Les Dwight King, Andreas Martinsen et autres Steve Ott trustent ainsi des places qui pourraient échouer à des espoirs repêchés par la franchise.
S’il a été congédié en milieu de saison, Michel Therrien a également laissé une certaine empreinte, après son passage de cinq ans à la tête du Canadien. Coach intransigeant, l’entraîneur francophone n’était pas du genre à tolérer les erreurs individuelles, ce qui s’est matérialisé en une certaine frilosité vis-à-vis des jeunes joueurs, plus enclins à commettre des telles bévues.
Quant à savoir si cette tendance évoluera avec l’arrivée de Claude Julien, rien ne permet de prendre clairement parti, pour le moment. Si l’ancien coach des Bruins a été chahuté par certains novices de Boston après son départ (Ryan Spooner en tête), il peut également être crédité de l’émergence de nombreux talents dans la LNH, comme Brad Marchand, Patrice Bergeron, David Krejci ou Dougie Hamilton. Tous ont été développés sous son égide, lui qui a su leur faire confiance dès leur entrée dans la Ligue.
La banque d’espoirs du CH ne disposant toutefois pas d’éléments aussi doués, Julien sera donc attendu au tournant sur des cas plus obscurs, mais non-dénués d’importance. L’attaquant Charles Hudon, bientôt 23 ans, occupe notamment les esprits des partisans. Récemment prolongé par les Canadiens, l’ailier, qui n’a pas été protégé en vue du repêchage d’expansion, n’a été utilisé en LNH qu’à trois reprises cette saison. Ces rappels, qui ont tous eu lieu en novembre, sous Therrien, ont été marqués par une récolte de deux assistances.
Dominant en Ligue Américaine, Hudon a toutefois été ignoré par Julien à son arrivée et désormais, c’est sa non-protection qui soulève quelques interrogations. Pour Andrew Berkshire, contributeur à Sportsnet et RDS, la valeur intrinsèque du joueur n’est pourtant pas à prouver:
Since 09-10, Hudon has the 2nd and 3rd best AHL goal scoring seasons among Habs prospects under 23: pic.twitter.com/DPqP9aEqAx
— Andrew Berkshire (@AndrewBerkshire) 18 juin 2017
For a team that continually lacks scoring, ignoring how potent he's been is a huge mistake. One of the only players to show offence under SL
— Andrew Berkshire (@AndrewBerkshire) 18 juin 2017
Le chroniqueur souligne ainsi qu’Hudon s’est imposé comme l’un des meilleurs buteurs LAH parmi les espoirs des Habs, depuis la saison 2009/10. Des statistiques qui le placent sur les traces de Max Pacioretty, et devant des éléments tels que Gabriel Dumont, David Desharnais, Brendan Gallagher ou Sven Andrighetto. L’ailier québécois a donc prouvé, à l’aune d’une dernière campagne de Ligue Américaine ponctuée de 49 points (27 filets, 22 assistances) en 56 matchs, qu’il méritait d’être vu plus souvent avec le Tricolore. Mais force est de constater que sa haute-direction et le personnel d’entraîneurs ont peiné à lui accorder cette confiance.
Le cas Hudon, comme d’autres, est ainsi révélateur du parcours parfois cahoteux qu’empruntent les espoirs du CH. Malgré l’arrivée de Claude Julien sur le banc, synonyme de changement, les dysfonctionnements vus en Ligue Américaine renforcent le sentiment d’approximation qui touche le développement des joueurs à Montréal. Dans l’obligation de gagner dès maintenant, les Habs finiront-t-ils par faire confiance à leurs jeunes dans leur quête de la Coupe Stanley?
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