P.K. Subban : une histoire de coach(s)
Comme attendu, la transaction monstre concoctée par Marc Bergevin et David Poile a fait couler des flots d\’encre numérique, suscitant l\’interrogation, l\’enthousiasme ou le dépit chez des milliers (millions ?) de partisans et d\’observateurs. Les statuts des deux joueurs échangés, Subban et Weber, ont d\’abord été comparés comme ceux de deux défenseurs étoiles, aux styles certes très différents, mais partageant cependant un impact offensif non-négligeable. Lorsque l\’ancien capitaine des Prédateurs décoche un tir surpuissant lors d\’une période de supériorité numérique, l\’ex-pile électrique des Canadiens affectionne les montées survitaminées vers le but adverse, délivrant de ses arabesques un solide nombre d\’assistances, sur une base régulière (plus de 40 à l\’année depuis 3 ans). Avec des nombres divers en tête, on s\’interroge sur le contrat et l\’âge de Shea Weber, ses chances de maintenir sa production et de survivre sans Suter ou Josi à ses côtés. Au même moment, les partisans du CH tentent de se rappeler du nombre de fois où un P.K. Subban déchaîné a bêtement concédé un revirement assassin pour sa défensive, délaissant maladroitement la rondelle dans la zone adverse. Et puis il y a le vestiaire, la vie de groupe, essentielle car Montréal récupère via cet échange le dernier vainqueur du Trophée Mark Messier, remis à l\’homme fort démontrant le plus de leadership sur les patinoires de LNH. À l\’opposé, Subban semble avoir été placé dans son avion en direction de Nashville du fait de son caractère exubérant, ne cadrant pas avec les principes de l\’homme de confiance de Marc Bergevin, le technicien québécois Michel Therrien.
Therrien, parlons-en. Un coach dur, conservateur dans ses choix. La défensive il en fait son affaire, et si par malheur un joueur (peu importe son poste) met en péril cet équilibre, il peut s\’attirer les foudres de son entraîneur-chef. C\’est le rôle qui fut souvent endossé par Subban au cours des derniers mois, avec en paroxysme le désaveu pur et simple prononcé par un Therrien agacé, fustigeant son arrière après une nouvelle défaite 3 buts à 2 face à l\’Avalanche, au soir du 19 février: « Nous avons joué une partie solide, c\’est vraiment dommage qu\’une erreur individuelle nous coûte finalement le match » déclarait-il au micro des journalistes venus suivre la confrontation entre le CH et le Colorado (source : sportsnet.ca). En lâchant publiquement son joueur, il l\’excluait de fait de la dynamique du groupe. C\’est d\’autant plus dur que Subban n\’était guère le seul fautif sur le but adverse, perdant certes le disque, mais voyant derrière lui un Max Pacioretty passif relâcher son soutien défensif, laissant ainsi le vétéran Jarome Iginla se diriger vers la cage des Habs pour apposer son nom sur la fiche de pointage. Cet épisode traduit le malaise qui régnait alors au sein des Canadiens, avec un Michel Therrien avide d\’ordre et de cohésion, préférant blâmer les excès de style de P.K. Subban en le mettant en opposition au reste de l\’équipe. Le collectif prime et malheur à celui qui, par son jeu ou son aura, se mettra en position de l\’éclipser.
Pourtant, comme le note Stu Cowan, de nationalpost.com, le style Therrien n\’est plus dominant, voir même clairement marginal dans la LNH actuelle. Le chroniqueur en veut pour preuve une déclaration vieille de quelques mois et venant du vénérable tacticien des Blues de Saint Louis, Ken Hitchcock : « de nos jours, la seule manière de jouer la défense c\’est de s\’installer en zone offensive et contrôler la rondelle ». Le point de vue montréalais sur le sujet est pourtant tout autre, l\’équipe tentant de bâtir de l\’arrière en se basant sur l\’assurance qui ressort de la présence de Carey Price devant le filet, à coup-sûr la plus grande force de l\’équipe. Pour Cowan, la possession haute a manqué aux Canadiens, trop attentistes, durant toute la saison, et on est en droit de penser que cela s\’accentuera avec le départ acté d\’un des meilleurs manieurs de disque du circuit Bettman.
Finalement, c\’est cette opposition entre une vision d\’un hockey « à l\’ancienne » et les libertés prises par un joueur répondant parfaitement aux canons du jeu moderne qui ont précipité Subban vers le Tennessee. Là-bas, c\’est un autre environnement et une autre culture qui l\’attendent. Une culture relativement jeune, développée à l\’arrivée de Peter Laviolette sur le banc d\’un Nashville transformé en deux saisons par l\’émergence, ou l\’embauche, de joueurs clés comme Filip Forsberg, James Neal, Roman Josi, Ryan Johansen ou même Mike Ribeiro, très précieux lors de sa première année. Auparavant, la franchise évoluait avec un jeu défensif élaboré par Barry Trotz, où la possession de la rondelle et l\’efficacité dans les deux sens de la patinoire correspondaient à la description du style arrière moderne émise par Hitchcock. Si Subban aurait pu s\’y inscrire sans problème, comme il le pourrait chez les Capitals ou dans n\’importe quelle autre formation de la LNH (enfin visiblement sauf le CH) ; c\’est cependant sous la houlette d\’un Laviolette obnubilé par la vitesse d\’exécution et la rapidité sur les ailes qu\’il va faire ses premiers coups de patins avec la tunique dorée des Preds sur le dos. Via un échec avant prononcé, son futur coach offre par ailleurs à ses défenseurs la possibilité de bien se projeter vers la cage adverse.
C\’est ce système qui a fait briller les Weber, Josi, Ellis et autres Ekholm sur l\’exercice 2015/16. Et ce jeu léché, qui met aussi bien en avant les attaquants que leurs comparses de la ligne bleue, semble plutôt s\’accorder avec le profil technique de Subban. Laviolette lui-même est le premier à se féliciter d\’un tel ajout, comme exprimé dans une vidéo de la conférence de presse suivant la transaction, et disponible sur le site tennessean.com: « Nos défenseurs patinent tous bien, transportent bien le disque. Je pense qu\’il s\’intégrera facilement dans ce cadre, et nous aurons ainsi un Top-4 très très mobile ». Pour plus de vitesse, la possibilité d\’une association avec Josi fait saliver, mais le technicien américain garde la main sur l\’opinion, et n\’exclut pas la possibilité de « les séparer, le (Subban) faire évoluer avec Ekholm. De toute manière nos premières paires seront très solides ». En effet, on n\’en doute pas…
Cependant et comme le rappelle Adam Vingan, journaliste affecté à la couverture des Preds par le Tennessean, Therrien et Laviolette ne sont pas nécessairement aux antipodes l\’un de l\’autre. Ils partagent ainsi une certaine intransigeance envers le non-respect de leurs plans de match respectifs. Figure passionnée, le coach de Nashville peut ainsi mettre son caractère impulsif au service de ses convictions sur le jeu et de la concordance entre ce qu\’il attend de ses joueurs et ce qui lui est donné en retour. Si l\’implication de Subban n\’est pas un problème, l\’arrière se dépensant sans compter sur la glace, sa rigueur sera à nouveau mise à l\’épreuve par le staff technique. Reste que, au sein d\’une équipe ayant pour objectif d\’améliorer encore et toujours les phases d\’attaque, le profil technique virevoltant du natif de Toronto devrait globalement épouser les attentes de l\’organisation.
Le cas Subban finalement conditionné par le sportif et la tactique, ou bien par son image hors de la glace ? Il semble que ce soit un mélange de ces facteurs qui ait conduit à son départ, ou provoqué son arrivée, suivant le point de vue des parties impliquées. Dans une cité remplie de vedettes, siège d\’une puissante industrie musicale, le profil médiatique de notre homme devrait plaire. La franchise vient de s\’offrir un visage magnétique, qui établira encore plus le hockey comme l\’un des sports phares de l\’aire urbaine de Nashville. Bien que solidement parée sur le plan des bénéfices, rappelons que l\’équipe doit faire face à une confrontation judiciaire entre ses actionnaires . L\’arrivée en ville d\’une étoile comme Subban sera donc forcément vue comme un vrai plus et une belle opportunité. Mais avant de conquérir la cité sudiste, le défenseur devra d\’abord se stabiliser sportivement comme l\’atout qu\’il doit être pour son futur groupe. Un atout et non un problème. Et dans cette optique, ce sera à Laviolette de réussir, là où Therrien semble, au final, avoir échoué.
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