OPINION | Les bagarres, les clickbaits et l’hypocrisie
Autrefois, c’était un déjeuner accompagné d’un bon café chaud et du journal local. Désormais, c’est avec le téléphone en main qu’on occupe ce moment matinal.
Sur l’heure du déjeuner, on défile notre actualité sur «X» ou sur Facebook pour se tenir au fait «des vraies affaires.» Tsé, celle que Facebook et «X» veulent te montrer, et non ce que toi tu veux voir ! Et là, en défilant l’écran de mon cellulaire, je tombe sur la bagarre générale entre les Rangers et les Devils. Bon, évidemment, les titres parlaient d’une bagarre générale, terme anciennement utilisé pour décrire des bancs qui se vident et plus de 20 joueurs qui se tapent sur la gueule. Donc, je regarde l’action pour voir finalement 10 gars qui dansent un slow en tentant de frôler l’autre avec des mornifles. Déjà, on m’avait vendu du rêve.
Mais savez-vous quoi ? Je l’ai regardé au complet, la vidéo de 1 minutes 40 secondes. Parce que malgré tout ce qu’on peut penser des bagarres dans la NHL, il y avait de quoi d’excitant quand même.
Puis là, comme le déjeuner est absorbé, j’embarque les petits dans la voiture et hop ! Direction garderie. Dans la voiture, l’excellent show de Rej Against le matin sur les ondes de BLVD 102,1. On y tient un débat sur la mêlée qui s’est produite entre les Rangers et les Devils. Une phrase m’a marqué de la part du chum Max Larouche: «Regardons les partisans hier. Avaient-ils l’air d’être contre ? 305 000 vues sur la vidéo de Sportsnet et c’est sans compter Youtube et les réseaux sociaux ! Il doit y avoir des millions de vues. Les gens adorent ça, arrêtons d’être hypocrite !»
Les bagarres et l’hypocrisie
On le sait, il y a des fervants défendeurs de chaque côté concernant les bagarres dans le hockey. C’est un débat qui perdure depuis des années. Plusieurs intervenants n’en veulent plus de bagarres, d’autres souhaitent que l’on conserve cette saveur là. Est-ce que l’un peut venir avec l’autre ? Peut-on ne pas aimer les bagarres récurrentes dans la NHL sachant que les joueurs en ressortent avec de graves problèmes tout en étant excité par l’aspect spectacle d’une telle mêlée comme celle des Rangers et des Devils ? Absolument.
Quand ça arrive, l’aspect spectacle embarque. On ne demande pas à ce que ce soit cela à tous les jours, mais cet aspect historique de la game demeure bien vivante au coeur des partisans. Rej donnait un bon exemple dans le débat. À l’époque, Don Cherry produisait des VHS composés d’une compilation de 60 minutes de mises en échec parfois illégales et de bagarres. Ça se vendait comme des petits pains chauds ! On n’est plus là en 2024, j’en conviens. N’empêche que cet aspect spectacle ne date pas d’hier et demeure bien vivant. Il faut être aveugle pour ne pas le concéder.
En guise d’exemple, plus tard dans le show, l’équipe de BLVD recevait Gabriel Nadeau-Dubois. Après une envolée de 2 minutes sur les effets néfastes des bagarres et sur le fait qu’on ne veut pas que nos jeunes voient tout cela, le porte-parole de Québec Solidaire a affirmé qu’à la vue des vidéos, il avait tout de même «de l’excitation au coeur, mais qu’en y pensant avec sa tête par après, c’était dépassé.»
Matt Rempe: le point phare de l’hypocrisie
Les bagarres sont encore appréciées dans le milieu du hockey. Même si une minorité vocale s’élève contre, les faits sont bien réels. Les gens sont debouts sur leur siège, les réactions fulminent sur les réseaux sociaux et tout le monde se nourrit de cela. Là où j’accroche cependant, c’est tout ce qui tourne autour de joueurs comme Matt Rempe. Et là on embarque de la portion de l’hypocrisie flagrante.
Depuis son arrivée dans la NHL, Matt Rempe se bat. Beaucoup. Trop.
On critique la NHL pour sa gestion malhonnête et désengagée concernant les commotions chez les bagarreurs. On pleure la mort d’ancien homme fort en soulignant qu’il faut faire quelque chose. Mais t’as un Matt Rempe tout défiguré qui continue de se battre et les vidéos circulent et les gens applaudissent ça. Moi c’est là que je débarque. Quand l’excès prend la place de la raison. Une mêlée une fois de temps en temps, ça donne un spectacle. Quand on idolâtre une peste qui au final, n’a même pas gagné un combat «clean» dans la NHL, je débarque.
C’est ce qui me mène au 2e point sous le thème de l’hypocrisie: le clickbait ! Parce que faire des clics et de l’argent sur un joueur défiguré qui se bat, pour ensuite critiquer les bagarres, c’est aussi malhonnête et hypocrite que de titrer des articles ou des vidéos à la sauce clickbait à mon avis. Pourtant, les deux principes se rejoignent: on critique les bagarres et les clickbaits, mais c’est ce qui vend le plus. Cohérence, quand tu me tiens…
Le clickbait et l’hypocrisie
Le terme «clickbait» est galvaudé sur le web. On s’en sert dès qu’un titre ne donne pas toute l’information. Référons-nous à la définition de l’Office de la langue française du Québec:
Titre provocant ou intrigant affiché sur une page Web, qui pique la curiosité des internautes et les incite à cliquer pour en connaître davantage, mais qui ne mène qu’à un contenu peu informatif et décevant.
Donner une information dans le titre sans dire le nom du joueur (mais que le nom apparaît dans la photo) pour ensuite offrir un contenu d’analyse de 700 mots avec des stats, des opinions et des faits, ce n’est pas du clickbait. Écrire que l’organisation du Canadien effectue une annonce majeure qui fait trembler le web et qu’on découvre dans le texte qu’il s’agit du rappel d’un espoir des Lions vers le Rocket dans un contenu de 100 mots, ça je pense que ça entre dans la description. Et lorsqu’on lit les commentaires, la majorité des gens sont contre les bagarres clickbaits. Et savez-vous ce qui vend le plus, ce qui génère le plus de réactions et de revenus sur le Web ? Le clickbait. Ironique non ?
En guise d’exemple, Hockey30 est en mesure de faire des millions de vues sur du contenu que plusieurs qualifieraient d’ordurier. Les gens sont fâchés de s’être fait prendre, mais le modèle continue de fonctionner. Pourquoi ? Parce que ça clique quand même.
Les bagarres, le clickbait et l’hypocrisie
Pourquoi donc amener le principe de clickbait dans un texte sur les bagarres ? Parce que les deux sont intimement liés à la même chose: l’hypocrisie !
On se pavane sur les réseaux sociaux en mentionnant que les bagarres, ça n’a pas de bon sens. Une vidéo de Matt Rempe qui se donne des petites claques au visage avant un match: plus de 300 000 vues. Ça crie haut et fort qu’on devrait laisser Martin St-Louis tranquille concernant les problèmes de santé que son fils a eu. Que ça relève du privé et qu’on ne doit certainement pas en parler dans les médias. Pendant ce temps:
Et lorsqu’on parle des bagarres, on constate une augmentation substantielle du nombre de vues sur le contenu numérique. Alors que différentes pièces de jeu peuvent amasser entre 30 000 et 50 000 vues pour une seule vidéo, voici combien de vues approximatives Br_OpenIce sur «X» pour la bagarre Rangers-Devils:
Oui oui, 3 millions de vues !
Cercle vicieux
L’effet de rareté d’une mêlée de la sorte ajoute à l’aspect spectacle. Ça attire la curiosité. On peut ne pas aimer, mais les faits sont bien réels: ça attire ! Heureusement, pour l’aspect santé, on ne souhaite pas voir ce genre de spectacle tous les soirs. Mais une fois de temps en temps, force est d’admettre que ça pogne.
En tout et partout, l’humain est attiré par ce qui sort de la norme, ce qui est spectaculaire et sur ce qui génère des réactions. On est frustré des bagarres, mais on va consommer le contenu. On est frustré des clickbaits, mais visiblement, le contenu continue de se consommer. Et on se fâche, mais on se refait prendre. La roue tourne et on met tout le monde dans le même bateau.
Et pendant ce temps, ça ramasse du revenu à la pelle mécanique sur le dos de cette hypocrisie persistante qui règne sur le Web. Quand un joueur va mourir des séquelles des bagarres, on cumulera les clics sur cette nouvelle. Mais à la prochaine bagarre, on laissera les principes de côté. Peut-on en vouloir à ces gens qui adoptent ce modèle d’affaires ? Non parce que sans clic et sans intérêt, ça ne fonctionnerait plus. Ce principe s’applique pour les bagarres dans la NHL, qui vendent encore énormément dans la création numérique, mais aussi pour le clickbait, une pratique ô combien malicieuse à lire les gens, mais qui génère tout de même 3000000% plus de clics qu’un texte d’analyse bien ficelé avec des commentaires de vestiaire et des entraîneurs après un match.
Et croyez moi, cette dernière affirmation, je peux vous la confirmer.
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